Aller aux sources
Sébastien Doane a appris à lire la Bible par lui-même dès son adolescence.
Sébastien Doane a appris à lire la Bible par lui-même dès son adolescence. En secondaire 1, au Collège Notre-Dame, à Montréal, le professeur de religion, M. Beaulieu, demande aux étudiants : «Qui veut une blonde?» Tous sont intéressés. Il leur suggère donc d’aller lire le Cantique des cantiques. Ce que fit Sébastien. «Alors, j’ai écrit une lettre à Kimberly pour vanter sa beauté», dit-il en riant. Cette même année, il va lire l’Apocalypse. Jeune, il allait à la messe tous les dimanches, car il était impliqué en liturgie par le chant et la musique. Pas étonnant, car ses parents étaient chanteurs à l'opéra comme à l’église. La foi était au centre de la vie familiale.
Devenir prêtre?
«Moi, je suis sur la clôture entre Église et société.»À la fin de son cégep au Collège Brébeuf, en 1997, il participe aux Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) à Paris et prend conscience de son désir d’évangéliser, de servir et d'agir concrètement en suivant Jésus. Le sujet croyant émerge alors en lui : «JE crois!» Pour lui, le modèle de ce service est le prêtre. À 19 ans, il se retrouve ainsi avec la communauté de Sainte-Croix afin de devenir prêtre. Pendant ces six années de formation, il tombe amoureux trois fois… Quelques mois avant d’être ordonné, il est encore amoureux… Il passe alors deux semaines au monastère d’Oka pour bien discerner son appel. Il constate : «Ma vie spirituelle personnelle est plus proche d’une mission de laïc que celle de la vie cléricale ad intra. J’aurai beaucoup plus de liberté de pensée et de parole.» Avec la communauté de Sainte-Croix, il s’est découvert et formé, ajoute-t-il. Il constate que la pression vers la perfection était forte, et qu’il était placé sur un piédestal par beaucoup de femmes qui l’entendaient prêcher à l’Oratoire. «Je ne pouvais pas correspondre à cette image de perfection. Ce n’était pas moi.» Récits insolites Après son passage à la congrégation Sainte-Croix, il est rapidement engagé à la pastorale du Collège Saint-Jean-Vianney – on y compte 1300 jeunes du secondaire – où il leur proposera des sorties éducatives, allant de la rencontre d'itinérants dans la rue à la visite de l’Arche, en passant par des séjours au Pérou. Mais surtout, sa passion pour la Bible sera contagieuse. Il décline ainsi son approche pédagogique : «Avec les jeunes, je pars des récits insolites, les “histoires fuckées” comme ils disent, avec scène de violence et de sexe (p. ex. : Juges 19). Je remets le texte en contexte avec eux et aborde ainsi des questions de fond sur le bien et le mal, la justice, la liberté et le sens de notre vie sur terre. J’ai appris de mon maître à penser, Claude Lacaille, p.m.é., à mettre en relation le contexte historique et littéraire d’un texte et le contexte social contemporain. Ce qui exige de pouvoir faire des lectures sociales méthodiques comme avec la méthode du voir-juger-agir.» Il regrette que l’Église s’occupe beaucoup du 5 % qui va à la messe et peu des autres 95 % qui ont déjà quelques informations sur la Bible et veulent en savoir davantage. Il ajoute : «Il n’y a que peu de formation continue sur la Bible dans l’Église, et presque rien pour les adultes qui se retrouvent enfermés dans le sens littéral des textes. On ne les aide pas à lire la Bible en adultes.» Interpréter… Alors qu'il commençait sa maîtrise en études bibliques, en 1999, l’équipe d’InterBible et Radio Ville-Marie voulaient faire une émission qui comprendrait des entrevues avec des auteurs qui collaboraient à InterBible. Yves Guillemette, le directeur du Centre biblique du diocèse de Montréal et d’InterBible, l’a pressenti pour ce projet; de fil en aiguille, en 2007, il est devenu responsable de la rédaction du site InterBible. Lors de ses études au bac, c’était Jésus, son centre d’intérêt. Il se rappelle que le théologien jésuite Karl Rhaner affirmait : «On dit n’importe quoi sur Jésus. Il faut aller aux sources.» Ce qui le pousse vers sa maîtrise en études bibliques, car, dit-il, «la Bible contient des richesses immenses de connaissance, c’est une source de réflexion pour les défis planétaires d’aujourd’hui. Cette parole est vivante. Pourtant, elle est mise de côté…» Sa mission sera donc de rendre accessible la parole de Dieu dans une approche polysémique, c’est-à-dire qui tient compte de plusieurs sens. Il explique : «C’est à nous de choisir ce qui fait du sens et interpréter est un geste politique. Mais qui peut interpréter, me dira-t-on? Le prêtre, le théologien, le bibliste, le pape? Il n’y a pas d’interprétation objective; cela dépend du point de vue du lecteur, de son histoire et de ses options sociales. Il y a autant de “Jésus historiques” qu’il y a d’auteurs. N’y a-t-il pas quatre évangiles? Notre compréhension de Jésus devient donc aussi un miroir pour nous-mêmes.» Généalogie de Jésus…
«Bien des ancêtres de Jésus ne sont pas recommandables.»Depuis 2 ans, il est de retour aux études bibliques à l'Université Laval pour l’obtention d’un doctorat. Étonnamment, le texte qui l’interpelle le plus est celui de la généalogie de Jésus… «Livre des origines de Jésus Christ, fils de David, fils d’Abraham…» (Matthieu 1, 1), suivi de la liste des ancêtres. Il est allé les visiter. Sa conclusion : «Ils ne sont pas recommandables. Ils sont hors normes. Ainsi y retrouve-t-on le roi David qui fait tuer Uri pour s'emparer de sa femme, Bethsabée; Rahab, la prostituée de Jéricho; Achaz, le roi infidèle qui sacrifie son propre enfant et de nombreux inconnus ordinaires.» Une généalogie «bien humaine», mêlée de boue et de sang… Alors, il va concentrer sa recherche sur les portes interprétatives que les auteurs bibliques ouvrent et celles des lecteurs. Comment interprètent-ils le texte? Qu’est-ce qui fait du sens pour eux? Qu’est-ce qui les fait réagir? Comment remplissent-ils les blancs? Cette approche interprétative est une invitation aux baptisés, aux catholiques romains en particulier, à aller aux sources, à sortir des lectures littérales et moralisantes de la Bible, à croiser leurs lectures bibliques et sociétales, à prendre la parole et à agir.