L'Église dans la rue
« À qui la rue? À nous la rue! », disait un slogan du printemps érable revendiquant un espace de liberté d’expression et une volonté d’être vu et entendu.
« À qui la rue? À nous la rue! », disait un slogan du printemps érable revendiquant un espace de liberté d’expression et une volonté d’être vu et entendu. Pour les institutions sociales, « être présent dans la rue » veut signifier la nécessité d’une présence et d’une écoute des réalités du monde, par contraste sinon par opposition à un enfermement dans l’espace aseptisé d’un bureau, dans la tour d’ivoire de ses idées et de ses théories, bref loin de la vie. Les institutions ecclésiales se sont souvent fait reprocher d’être décrochées du réel, enfermées dans une tour d’ivoire, mais plusieurs communautés sont déjà descendues dans la rue.
Ce samedi 16 août dernier, fin de semaine de la fierté gaie, la rue Sainte-Catherine à Montréal, dans la section du Village gai, est envahie par un long chapelet de stands blancs et une foule joyeuse et colorée, malgré la pluie. Une multitude de groupes et de services s’affichent et prennent contact, de la chorale gaie de Montréal au groupe de soutien pour parents d’enfants différents… en passant par Gai écoute, Parents gais et les GRIS du Québec. Plusieurs s’étonnent de trouver une présence d’Églises chrétiennes sur ce parcours. Pourtant, la paroisse catholique romaine Saint-Pierre Apôtre, clairement identifiée, en est à sa 12e année d’affilée de présence. Plusieurs personnes sont à l’accueil, dont Yves Côté, agent de pastorale, et le curé Jean-Claude Gilbert, o.m.i., pour écouter les confidences, répondre aux questions et inviter les gens à participer à la messe de la fierté du lendemain.
Yves Côté rapporte qu’il s’est fait dire par un couple lesbien : « Merci d’oser! » Nombreux sont ceux et celles qui cherchent une communauté d’appartenance pour vivre leur foi chrétienne et qui désespèrent d’en trouver une. « En 2011, raconte Yves, un jeune homme s’est arrêté près du kiosque et s’est tenu en silence, écoutant la conversation que j’avais avec une autre personne. Le lendemain, il était présent à l’eucharistie et je lui ai demandé de faire une lecture. Très ému, il m’a dit : “Je pensais vraiment impossible de vivre ma foi au Christ tout en étant homosexuel.” » En 2014, ce jeune homme fait toujours des lectures et a même placé sur sa page Facebook deux photos (2011 et 2014) de lui en train de lire à Saint-Pierre-Apôtre. Il y invitait ses amis et amies à venir participer à la « messe de la fierté ». Fier de s’afficher chrétien catholique pratiquant. « Aujourd’hui, il se sent bien d’être engagé en Église, mais surtout bien dans sa peau », de conclure Yves.
Un ministère de présence
Le stand voisin, avec sa bannière S’affirmer ensemble, représentait l’Église Unie. À la table, Monique Joyal de l’Église Unie Saint-Jean, Nicole Hamel de l’Église Unie Saint-Pierre de Québec, qui présentait ses livres1, et William de la communauté Camino d’Emmaüs. Plusieurs passants, dont le journaliste et éditeur de la revue Être, André Gagnon, disent apprécier l’ouverture de l’Église Unie, selon Nicole Hamel. Cette dernière affirme vivre un « ministère de présence et de contacts » par sa participation à des événements publics comme la « fête Arc-en-ciel » à Québec qui comprenait des spectacles et des conférences, une parade, des stands et un brunch au carré d’Youville où 150 personnes se sont rassemblées. Elle porte aussi son témoignage de foi au bar gai DomaHom et au Bazar littéraire à Québec lors des lectures publiques. Elle sera de la partie au salon Harmonie sur la santé et la spiritualité. Elle se fait aussi présente dans les prisons pour femmes. À Québec, une collaboration s’est développée avec la paroisse catholique romaine Saint-Jean-Baptiste qui héberge le groupe Spiritualité entre nous depuis 3 ans. Le stand suivant sur Sainte-Catherine était tenu par l’Église anglicane Christ Church.
Voici une dernière histoire de rencontre qui remonte à l’an passé. Yves Côté raconte : « Une femme s’arrête devant notre kiosque le visage fermé et dur. Je la regarde droit dans les yeux. Elle me lance : “Si vous saviez comme je l’ai loin, l’Église catholique!” Je réplique : “C’est très dangereux ça, madame… avez-vous vu la grosseur du clocher?” Rires suivis d’une conversation à cœur ouvert où j’apprends que son jeune fils, alors qu’il était adolescent, est allé consulter un prêtre sur son homosexualité. Il est revenu tellement perturbé et culpabilisé qu’il s’est suicidé. Et elle pleure abondamment dans mes bras. Je lui dis que le “meurtrier” de son fils n’est pas l’Église, mais ce prêtre qui n’avait pas compris l’Évangile. Je l’ai reconduite au métro et, avant de me quitter, elle m'a enlacé en disant : “J'aurais tellement aimé que mon garçon vous rencontre, qu'il connaisse l'existence de l'église Saint-Pierre-Apôtre2.” Et elle s'engouffra dans l'édicule du métro, libérée de ce fardeau écrasant. » Cela ne dit-il pas l’urgence d’une Église qui va à la rencontre du monde, là où le monde vit, à l’écoute du monde avec respect et considération?3 Comme le faisait Jésus.