Frère François
Habemus papam est devenu habemus episcopam, un nouvel évêque de Rome.
Habemus papam est devenu habemus episcopam, un nouvel évêque de Rome. Le nouveau pape de l’Église catholique romaine, élu le 13 mars dernier, s’habille simplement, sans les signes ostentatoires du pouvoir, garde ses vieux souliers et sa croix d’évêque, ne se présente pas comme le Grand Chef. Il troque la limousine pour le transport en commun, la suite royale pour la résidence d’accueil des évêques et des cardinaux en visite à Rome, passe outre au protocole. Une caricature de Côté dans Le Soleil du 30 mars le représente dans les appartements pontificaux, couché sur un grabat au pied du grand lit à baldaquin, mitre et crosse déposées par terre... Cet homme n’est vrai ment pas de la culture vaticane. Habité de l’esprit de François d’Assise, il opère en actes une « révolution culturelle » dans les palais du Vatican. En démissionnant, Benoît XVI a ouvert la porte au changement. Que peut-il sortir de bon d’un conclave romain? Un audacieux Jean XXIII et un surprenant François. Étonnant dans une si puissante institution qui a perdu sa crédibilité à force de scandales1.
Au-delà de l’engouement médiatique et populaire, de nombreux observateurs, théologiens, agents de pastorale et militants de justice sociale, hommes et femmes au Québec, demeurent prudents et attendent des changements profonds de mentalité et de structure sur des questions majeures : la place de la femme dans les structures décisionnelles, le rétablissement de la place centrale du peuple de Dieu (les baptisés), la collégialité épiscopale, une approche pastorale non dogmatique, moralisatrice et infantilisante, un authentique dialogue avec le monde, les autres Églises et les autres religions; des sentiers ouverts par Vatican II dont la majorité a été refermée depuis. Voici donc en bref quelques réactions venues du Québec.
Dès le 15 mars, sur le site d’Interbible, Claude Lacaille, bibliste, nous rappelle le style des rapports d’autorité dans la première communauté chrétienne. Il fut un temps où les croyantes et croyants tutoyaient Simon-Pierre, le pêcheur galiléen et traitaient de frères les Apôtres de Jésus; un temps sans pontife, ni « éminence », ni « excellence ». Il n’y avait que Dieu que l’on appelait « mon Seigneur2 ».
Pour sa part, le journaliste Jean-Claude Leclerc signait un article sur le thème de la pauvreté dès le 18 mars, « Un pape des pauvres dans une Église riche » : « Sa principale préoccupation, la pauvreté : "Ah, comme je voudrais une Église pauvre et pour les pauvres!" Certes, il n’en tient qu’à l’Église de se dépouiller de biens hérités du passé et qui, loin d’être nécessaires à sa mission, sont souvent source de scandale. En Amérique latine, du reste, des évêques l’ont fait, redonnant aux paysans des terres arrachées avec la conquête espagnole. Il aura été plus difficile pour les fidèles des classes riches d’en faire autant pour les démunis des villes et des campagnes. En Argentine, des jésuites auront cependant vécu au milieu des pauvres et se sont engagés dans leur "libération". Il poursuit sur l’option préférentielle. Mais qu’en sera-t-il de "l’option préférentielle pour les pauvres" réitérée par le pape? L’expression n’est pas nouvelle, mais en quoi au juste consiste-telle? "Apostropher les profiteurs et prêcher la docilité aux opprimés", selon le mot d’un Horacio Verbitsky? Rendre les pauvres dépendants d’une maigre charité chronique? Aller leur apprendre à se libérer, mais quitter le bidonville et les laisser seuls le jour où la répression vient les frapper? Bonne question pour le pape jésuite. Mais sans doute aussi pour nombre d’autres cardinaux, dont les Églises ne manquent pas de pauvres3. »
M. Richard Bonetto, pasteur de l’Église presbytérienne Saint-Luc, publiait une opinion titrée « Quelques nuances » dans le journal Métro du 4 avril. Il affirme spécialement : « Quant aux grands débats de société comme la place de la femme dans l’Église, l’avortement, la contraception, le célibat des prêtres ou la pédophilie, je trouve qu’il est un peu tôt pour affirmer qu’ils ont été mis sur la glace. Comme protestant, je suis convaincu de leur importance, mais l’Église romaine part de loin et ses membres sont loin de faire l’unanimité à son sujet, surtout les croyants autres qu’occidentaux. » Il ajoute : « On a certainement eu raison de critiquer certains courants religieux qui encouragent la charité au détriment de la justice sociale, l’aide aux pauvres au détriment de la dénonciation des structures d’injustices rappelant au passage que le cardinal Bergoglio avait "inlassablement dénoncé le capitalisme triomphant et les inégalités sociales". »
Enfin, M. Dominique Boisvert, avocat, militant pour la justice sociale et auteur, a fait circuler une lettre interpellante sur l’ouverture des chrétiens à l’espérance : « Peut-on être espérant, souriant ou même enthousiaste quand on est une chrétienne ou un chrétien progressiste et critique? C’est la question que je me suis posée en lisant plusieurs textes envoyés par mes amis chrétiens de gauche à la suite de l’élection du nouveau pape François. » Une lettre écrite en référence et en réponse surtout à l’analyse de la théologienne brésilienne Yvone Gebara « Un nouveau pape. La géopolitique du secret4 », datée du 14 mars.
C’est le début du printemps! L’hiver fut long et froid. Ce « nouvel évêque de Rome », ensoleillé et récalcitrant, va-t-il avoir assez de Souffle pour chasser l’hiver, pour durer sur son sentier printanier sans se laisser enfermer dans une tour de pouvoir, loin du monde, de ses rues bruyantes et animées et des chemins d’Emmaüs? Il est évangélique de l’espérer.