La « sage-femme »
Cette grande femme, début de la cinquantaine, au regard lumineux, revient de loin, et c’est même étonnant qu’elle soit encore de ce monde.
Cette grande femme, début de la cinquantaine, au regard lumineux, revient de loin, et c’est même étonnant qu’elle soit encore de ce monde. Originaire de Saint-Jérôme, Dominique Cyr s’est donné une solide formation en accompagnement psychospirituel parce qu’elle trouve essentiel que « les gens aient les moyens de contacter et d’habiter leur être profond pour y trouver l’Amour de Dieu ». Elle constate que l’Église n’a pas semé l’amour de soi ni la confiance en soi : « Nous avons tellement été culpabilisés par l’Église, surtout les femmes, et rapetissés par la culture québécoise (“nés pour un petit pain”) au lieu d’être invités à déployer qui on est dans notre essence; ce qui exige l’intériorité, d’être seul avec soi-même et Dieu. » Elle a marché elle-même sur ce chemin d’intériorité et des signes de cet appel à être « sage-femme » ont balisé son sentier.
La voix intérieure
Aînée d’une famille de trois, elle a un an et demi quand sa mère est hospitalisée pour six semaines; Dominique se retrouve donc chez ses grands-parents paternels. Un soir, une voix intérieure lui fait sentir qu’elle est précieuse et qu’elle n’a pas à se négocier à la baisse. Cette posture de fond la conduira à prendre soin d’elle, soit faire du sport, bien s’occuper de sa santé et se donner plusieurs formations. À l’école, introvertie et solitaire, elle a peu d’amis; mais rendue au secondaire, c’est avec la pastorale et les cours de religion qu’elle sociabilisera. C'est dans ce contexte qu'à 16 ans, elle fera une prise de conscience majeure : « En descendant l’escalier de l’école, les axes de mon identité se précisent d’un coup en moi : être femme, être laïque, être engagée dans l’Église catholique, être francophone et Québécoise. » Son implication sociale se déploiera avec le mouvement SPV (Service de préparation à la vie), le mouvement R3 et la pastorale du cégep. Elle réalise que la spiritualité n’est pas juste une « affaire de messes », mais que Dieu lui-même fait partie de la vie quotidienne.
Temps des projets
Elle envisage de devenir sage-femme, « car être sage-femme, c’est croire aux femmes et en ce qu’elles portent, et l’accouchement, c’est une affaire de femmes », dit-elle. Elle fait alors un retour au cégep en techniques infirmières et s'inscrit à l’Association des sages-femmes du Québec (aujourd'hui, le RSFQ). Comme la profession n’est pas encore reconnue au Québec à cette époque (elle a été reconnue en 1992), elle continuera sa formation au Texas où elle passera haut la main les examens de l’Association des sages-femmes et du ministère de la Santé du Texas. De retour au Québec en août 1991, elle termine son certificat en santé communautaire à l’Université de Montréal afin d’ajouter des compétences à sa profession et obtient un poste en pastorale comme répondante à la condition féminine au diocèse de Joliette. Tout est en place pour une vie professionnelle épanouissante.
Temps de deuil
« Cherchez et trouvez Dieu en toute chose. » Saint Ignace de LoyolaLe 12 décembre 1991, juste avant le dernier examen du certificat, alors qu’elle se rend au travail à Joliette par une journée de froid sibérien de moins 35 degrés, se souvient-elle, sa petite voiture Renaud 5 dérape et va percuter violemment un camion. Deux heures coincée sous le camion, deux mois et demi de coma, trente et une fractures surtout au bassin, traumatisme crânien sévère, paralysie partielle du côté droit et une main inutilisable… Le constat est brutal : « C’est le deuil de tous mes projets de vie. Impossible d’être sage-femme ou même assistante à causes des séquelles au cerveau et de la paralysie du côté droit. Impossible aussi d’avoir des enfants à cause de la fragilité du bassin en plus des séquelles physiques et intellectuelles. L'avenir est fermé! » Mais pendant son long séjour à l’hôpital Sacré-Cœur de Montréal, elle se souvient d'avoir été « enveloppée de lumière ». « J’étais dans la lumière », selon son expression. « Pendant le coma, je sentais que Dieu était derrière moi, à ma droite, et j’ai fait le lien, des années plus tard, avec cette parole du psalmiste : “Quand verrai-je Dieu face à face?“ (Psaume 41) Je n’étais pas encore prête à le voir en face. » À l’hôpital, elle a aussi subi deux arrêts cardiaques. Pendant l’un de ces arrêts, elle se retrouve dans l’espace et voit de loin la Terre. Elle se souvient très bien : « Dieu me fait sentir intérieurement qu’il est “un amoureux fou”; c’est pourquoi il a créé l’univers. Il veut que notre cœur se tourne vers lui librement et qu’on soit en relation avec lui. Il est impatient de nous rencontrer au présent de notre vie. » À son réveil, le 27 février 1992, elle ne peut ni parler, ni écrire, ni marcher, mais elle est consciente de tout. Pas de colère, ni déprime, ni détresse, se souvient-elle. « Dieu crée la vie et la résurrection, pas la mort. Il n’avait rien à voir là-dedans. Il s’est servi de cela pour me faire vivre plus », affirme-t-elle. Mais l’acceptation des séquelles, des douleurs fréquentes et de plusieurs opérations fut un long et difficile parcours où sa foi lui a servi de rocher. Temps de discernement Un an après l’accident, à 30 ans, elle vit une retraite ignatienne de 8 jours. « J’ai découvert comment Dieu avait été avec saint Ignace. Un Dieu amoureux de toute sa création qui veut nous voir vivre en plénitude la réalité unique de notre être. Depuis que j’ai un an et demi, c’est le Dieu qui me séduit et m’appelle à être de plus en plus moi en lui. C’est ma spiritualité. » Elle fera deux autres retraites ignatiennes, pour les 18 à 35 ans, sur le thème « Des pas vers la liberté » et les Exercices spirituels pendant deux ans. Ces arrêts pour le discernement portent fruit et l’orientent alors vers l’accompagnement spirituel. Elle poursuit donc sa formation au centre Le Pèlerin à Montréal (elle est diplômée en 2007), au Centre Manrèse à Québec et au Montreal Ignatian Spirituality Centre; puis une autre sur l’évangélisation des profondeurs. Depuis 1998, sa communauté d’appartenance est celle de la CVX (Communauté de vie chrétienne) de Montréal, de spiritualité ignatienne. Elle est impliquée au centre Le Rocher de Saint-Jérôme et fait désormais de l’accompagnement spirituel en lien avec Le Pèlerin. Quel relèvement! Comme une résurrection. Accompagner les autres à naître à eux-mêmes, à discerner l’authenticité de leur être et à s’abandonner à la présence de l’Amour en soi, n’est-ce pas être véritablement sage-femme?