Prêtre, militant et marxiste
« Le rôle de la foi, c’est de changer le monde. » – Vincent Cosmao
Jean-Paul Asselin n’est pas un franc-tireur ni un solitaire; il est ancré dans plusieurs groupes sociaux et politiques : Religions pour la paix, Centre de ressources sur la non-violence, Collectif Échec à la guerre, Réseau des forums André-Naud (dossier Ville de Montréal) et, bien sûr, très impliqué dans les partis NPD et Québec Solidaire, et enfin à la CLAC (Convergence des luttes anticapitalistes). Ce qui est le plus inattendu, c'est qu'il fait partie de la communauté des Pères de Sainte-Croix depuis 1962. Dans quelle terre a bien pu pousser ce militant original?
Il est né à Québec, en 1938, dans un milieu familial traditionnel qui comptait six enfants. Son père, originaire de Saint-Jean-de-Matha, dans Lanaudière, fils d’un travailleur dans un moulin à scie, était très pieux et très politisé… et possédait un esprit critique très aiguisé. Il est allé en Europe deux fois et a choisi l’URSS pour voir comment ça se passait là-bas. Sa mère, originaire de la Beauce et émigrée toute jeune à New York, était sensible aux pauvres et s’est occupée de l’accueil des réfugiés. Comme il aimait l’enseignement, il est entré chez les Pères de Sainte-Croix et a été ordonné prêtre en décembre 1962, au temps du concile Vatican II. Pourquoi cette communauté? « J’ai été saisi par leur esprit d’audace, d’aventure et de liberté », dit-il. En 1965, il fera un séjour de deux ans en Inde où « c’est le choc devant la pauvreté et les masses humaines sans fin. Des rivières intarissables d’humains », confie-t-il. Il en tombera malade pendant ces deux ans.
JOC et travail d’usine
À son retour au Québec, il se retrouve aumônier de la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne) à Plessisville, encouragé par le supérieur des Sainte-Croix, Maurice Lafond. Il s’implique aussi comme trésorier dans les clubs de motos, une de ses passions. Il reconnaît que l’abbé Cardijn, fondateur de la JOC, a eu une grande influence dans sa vie : « Lui n’avait jamais oublié les masses et les jeunes. » Dans la foulée de son engagement militant dans ce mouvement, à l’été 1974, à Québec, six laïcs et trois prêtres se rassemblent; certains, dont Jean-Paul, bientôt membres d’une équipe de militants nommée « équipe Calama »1, décident d’aller travailler en usine par solidarité avec la classe ouvrière. Les racines de cet engagement militant chrétien et de pastorale ouvrière remontent au Chili. Dans le contexte sociopolitique révolutionnaire du Chili des années 1970, l’expérience des prêtres ouvriers, incluant aussi des religieuses et des laïcs, en usine comme dans les mines, va bon train. L'objectif pastoral de ces équipes « Calama », inspirées par Karl Rahner, théologien progressiste, et Jan Caminada, théologien de la libération, est de former des communautés chrétiennes nouvelles engagées socialement et politisées. Les membres devaient être syndiqués, militer dans un parti politique et s’impliquer dans des rencontres de dynamique de groupe et le cheminement spirituel. Lorsqu’il fut expulsé du Chili par Pinochet en 1974, Guy Boulanger, o.m.i., qui faisait partie de l’équipe, a apporté cette approche pastorale au Québec, l’objectif étant l’intégration organique des chrétiens dans les « processus révolutionnaires ».
Marx
C’est ainsi qu’à l’été 1975, s’est formée une équipe « Calama » à Québec. Jean-Paul Asselin en parle comme d’un tournant important dans sa vie : cette méthode voulait former des « chrétiens révolutionnaires » qui changent la société, qui s’impliquent dans les processus révolutionnaires en cours. « Cela m’a structuré, cadré davantage dans ma réflexion et mes engagements. En équipe, nous nous sommes initiés à l’analyse marxiste par la lecture assidue de Lire le capital d’Althusser. » Mais qu’est-ce que des « chrétiens révolutionnaires » au juste? « C’est passer de la perspective qui consiste à soulager ou à aider les pauvres, c'est-à-dire la charité, à celle de la citoyenneté responsable et du changement radical des structures politiques et économiques dominantes », précise-t-il.
Jésus
Quant à Jésus, sa référence de fond, il le voit comme personne politique plus que sacerdotale. Il rappelle que Jésus faisait partie de la tribu de Judas, la tribu « politique » d’Israël, et non de celle de Lévis (comme Matthieu). C’était la responsabilité politique du roi d’orienter et de gérer la société dans le sens de la justice et de donner une place pour tous à la table commune. Son implication politique, soit la contestation des pouvoirs en place, dont César qui se prenait pour Dieu, l’a conduit à la croix. Il ajoute : « Jésus vivant aujourd’hui, c’est aussi l’ensemble des pauvres, en plus d’une personne réelle. Or les pauvres commandent l’avenir de la société. Ils sont la clé de l’avenir de la race humaine et de l’entrée dans le royaume de Dieu (Matthieu 25). Leur imagination, quotidiennement active, est essentielle pour penser l’avenir avec réalisme. »
Lorsqu'on lui demande quelle est la motivation profonde de ses engagements militants, il répond spontanément : « L’indignation constante devant tout ce qui menace et aliène les personnes. Quand ça n’a pas d’allure, je réagis avec passion. C’est à mes risques et périls tout le temps. Ma foi, c’est de partager la volonté utopique de Dieu que son règne advienne sur la terre comme au ciel. Cette foi est tissée d’indignation, de passion et de silence devant son grand Mystère : celui de Dieu et celui de l’avenir de l’humain. »