Une voix pour la justice
Le 30 septembre dernier, Développement et Paix tenait une conférence de presse à la Maison du développement durable à Montréal pour lancer sa campagne d’automne sous le thème « Une voix pour la justice, un ombudsman pour une exploitation minière responsable ».
Le 30 septembre dernier, Développement et Paix tenait une conférence de presse à la Maison du développement durable à Montréal pour lancer sa campagne d’automne sous le thème « Une voix pour la justice, un ombudsman pour une exploitation minière responsable ». Trois évêques du Sud (sur 4 invités) étaient présents pour témoigner des ravages faits par les minières canadiennes dans leur pays : Mgr Pedro Ricardo Barreto du Pérou, Mgr José Bantolo des Philippines et Mgr Nicholas Djomo de la République démocratique du Congo. Mgr Odon Marie Arsène Razanakolona de Madagascar n’a pu obtenir son visa. Le nouveau président de la Conférence des évêques catholiques du Canada, Mgr Paul-André Durocher, est venu lui-même appuyer cette campagne-plaidoyer. Une campagne qui tranche avec celle, plus frileuse, de l’an passé qui se limitait à des réflexions en paroisse.
Les témoignages des évêques de ces trois pays sont concordants et accablants pour les minières canadiennes présentes chez eux : promesses non tenues, appauvrissement des populations, pollution massive des milieux de vie, menaces, violences répressives. Des leaders locaux sont assassinés par les gardiens, l’armée des gouvernements complices et les milices des sous-contractants (dont certains groupes armés) contre les communautés locales. C’est pourquoi ces évêques interpellent vivement les Canadiens, en particulier les chrétiens du Nord. Plus de 800 entreprises canadiennes mènent des activités d’exploitation minière dans 100 pays. En fait, 1 646 entreprises minières sont inscrites à la Bourse de Toronto dont 371 grandes entreprises. Le Canada est le plus grand centre mondial de financement de l’exploitation minière. On compte quelque 450 milliards de dollars d’actions échangées en 2011. Il est qualifié de paradis fiscal et juridique par les analystes financiers : 53 % des projets miniers, soit 5 156, sont réalisés ici même au Canada; 17 % au Mexique et en Amérique du Sud et centrale; 13 % aux États-Unis. Le Québec, avec son « plan Nord » a les deux pieds dans cette culture mondiale de suprématie de l’industrie minière. C’est pourquoi DP et des ONG partenaires suivent ce dossier de près.« Toutes les mines contaminent le territoire et divisent les populations. » Mgr Pedro Ricardo Barreto du Pérou
« Les communautés du Sud se mobilisent pour dénoncer les menaces qui pèsent sur leur terre, leur eau et leur vie, causées par les activités des compagnies minières canadiennes. Cependant, leur appel à la justice n’est pas entendu ici au Canada1. » D’où la demande au Gouvernement canadien de créer un poste d’ombudsman indépendant qui recevrait les plaintes des populations du Sud. Une campagne précédente, répartie sur 3 ans (2006-2009), pour obtenir un ombudsman (projet de loi C-300) avait recueilli un demi-million de signatures. Le projet a été battu de justesse par 6 voix en troisième lecture. En place de l’ombudsman, un poste de conseiller en RSE (responsabilité sociale des entreprises) a été créé en 2009, mais sans moyens et avec beaucoup de limites: le mécanisme est sur une base volontaire et il n’y a aucune possibilité de recommander des mesures correctives ou des sanctions. Les ONG de développement international, dont DP, ne veulent pas baisser les bras. L’organisme repart donc en campagne malgré les coupures brutales (50 M$, soit les deux tiers de son budget quinquennal 2011- 2016)2 effectuées par le gouvernement par le biais de l’ACDI. D’autres ONG ont aussi subi des coupures draconiennes. Difficile de ne pas y voir l’effet du « lobbying » des minières canadiennes.« Que la justice se répande comme un fleuve. Que les compagnies écoutent le cri des pauvres. » Donald Bolden, président de la Commission justice et paix de la CECC
Les campagnes d’automne de DP se veulent éducatives afin d’aider les membres de l’Église catholique romaine et les citoyens canadiens à voir et à comprendre les structures d’injustice systémiques de la société, à les juger ou à les évaluer à l’aune de l’Évangile et à agir en conséquence collectivement; une tradition formant des chrétiens adultes et engagés comme citoyens. Que reste-t-il du fameux « voir-juger-agir » de l’Action catholique et de ses variantes3 qui permettaient d’agir sur les causes des injustices, et non seulement sur leurs effets désastreux? Le peuple de Dieu et ses pasteurs sont-ils équipés aujourd’hui en outils d’analyse sociale et entraînés à s’en servir dans un monde aux enjeux de plus en plus complexes et déterminants pour l’avenir de l’humanité? Après quelques années de débats houleux sur le maintien des orientations originelles de DP et sa gouvernance, entrecoupés de démissions, l’arrivée d’un « changement climatique » majeur nommé François au Vatican, aurait-il favorisé, sinon relancé, le courage et l’engagement des évêques canadiens et de DP sur le périlleux sentier de la dénonciation des injustices sociales? Ce pape qui souhaite une Église pauvre engagée avec les pauvres vient lui-même de rencontrer les dirigeants d’une vingtaine de compagnies minières pour les interpeller fermement.« Agir sur les causes des injustices change les choses. » Michael Casey, directeur général de DP