Une Bible « comme un roman »
On dira peut-être : « Pas encore une nouvelle Bible! » Pourtant, celle-ci sort vraiment de l'ordinaire.
On dira peut-être : « Pas encore une nouvelle Bible! » Pourtant, celle-ci sort vraiment de l'ordinaire...
L’initiative est des plus originales, car elle ne relève d’aucune Église, d’aucune vision de foi, d’aucun prosélytisme. « Je ne suis pas dans une démarche religieuse, mais il y a une dimension spirituelle », de dire Philippe Lechermeier, cet auteur français qui a déjà beaucoup écrit pour la littérature jeunesse – on peut penser à Graines de cabanes ou à Princesses oubliées ou inconnues publiés chez le même éditeur –, et s'est associé à la talentueuse illustratrice Rebecca Dautremer. Selon l’éditeur, c’était un projet insensé, « raconter et illustrer une Bible dans un esprit de transmission culturelle et sans aucun message religieux. Une Bible pour “l’honnête homme” assoiffé de récits et de connaissances1 ». La Bible, cet assemblage de plusieurs livres de styles différents, n’est-elle pas un trésor collectif qu’il est bon d’entendre et d'imaginer autrement, de retrouver dans sa profondeur humaine et sa beauté? L’illustration audacieuse, à saveur amérindienne, de la page couverture représentant «l'homme oiseau», image de l'ange qui visita Marie et rappelant aussi l'Esprit de Dieu, transpire la liberté et le vent qui emporte, le Souffle qui inspire. De même, celles qui accompagnent les textes choisis, telle la photo de famille traditionnelle reprise pour les noces de Cana, illuminent et renouvellent notre imaginaire empoussiéré. Il faut voir cette jeune Marie revêtant les atours colorés d'une jolie bohémienne, ou encore ce Jésus vêtu d'un tee-shirt et d'une chemise ouverte, d'un pantalon et de bottillons, un peu à l'instar des jeunes d'aujourd'hui.
Humaniser la Bible
Quoi de neuf donc avec le livre Une Bible, dont la jaquette ajoute la mention : «comme un roman»? L’intention de départ de l’auteur est claire : « Une grande partie de mon travail a été de rendre les personnages plus humains, plus sensuels afin de renouveler toute l’imagerie qui leur est attachée et qui souvent empêche d’en saisir la force… Et le lecteur qui possède déjà une bonne connaissance de la Bible sera plus sensible à la façon dont j’ai renouvelé le récit biblique », affirme l’auteur2. Ses personnages préférés sont Esaü, Caïn, Samson et Saül, « qui ont un destin tragique à la manière de ceux de la mythologie. Et les femmes au caractère fort comme Jézabel, Salomé et Judith. Joseph dont l’histoire est pleine de suspense et de rebondissements. Et pour finir, j’ai une tendresse toute particulière pour Jean qui, dans son livre, est à la fois le compagnon de Jésus et un double littéraire, une incarnation de l’écrivain qui s’interroge sans cesse sur le sens de sa vocation : pourquoi écrire?3 » En fait, cette Bible à couleur littéraire présente « des histoires sordides de familles déchirées, des histoires d'amour, des récits de guerre traversés de violence, de beauté, de rêves et même de rires parfois, délivrées tantôt sous forme de contes, de chansons voire même sous forme théâtrale. » (Céline Pellerin, ActuaLitté, 9 janvier 2015)
Source de civilisation
La Bible, dans notre histoire, a été source de créations artistiques innombrables en Occident, des bas-reliefs et des sculptures des cathédrales médiévales aux œuvres des grands peintres, des poètes et des compositeurs. Elle a été surtout une matrice de sens, sens de ce monde, sens de la vie et de la mort, avec ses histoires tellement humaines, ses leçons de vie, son ouverture sur le mystère. Elle est une source importante de la civilisation occidentale pour le vivre-ensemble planétaire et l’éthique des rapports humains qui a contribué en particulier à l’élaboration de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH). C’est la perspective de l’auteur qui affirme : « J’ai toujours considéré que la Bible était un texte constitutif pour la plupart d’entre nous. Pour chacun, croyant ou non-croyant, peu importe comment on se situe par rapport à l’idée de Dieu ou à la religion, ce texte est un fondement sur lequel repose notre civilisation4. » On ne compte plus les adaptations au théâtre comme au cinéma d’histoires tirées de la Bible, en particulier celle de Jésus; qu’on pense à l’opéra rock Jesus Christ Super Star (1975) ou au film Jésus de Montréal de Denys Arcand (1989).
Un enfant comme les autres
Pour vous mettre l'eau à la bouche, je transcris, pour terminer, un court extrait de l'évangile qui nous permet de goûter à la fraîcheur des mots et des images, ainsi qu'à la force de leur poésie.
« Et pendant toutes ces années, elle avait essayé d’être une mère comme les autres. Comme toutes les mères, elle l’avait pris contre son sein. Comme toutes les mères, elle avait salué ses premiers pas, ses premiers mots… Joseph aussi s’était comporté comme un père. Il lui avait appris la loi de Moïse. Il lui avait montré la force et la douceur… Elle se souvenait de leur retour d’Égypte comme si c’était hier. Leurs pieds qui foulent la terre de leurs ancêtres. Le blanc éclatant des maisons entre les collines. Le tapis vert des jardins. Le parfum de verveine, de fenouil et de cumin. Et Joseph, l’enfant sur ses épaules : “Là tu vois, c’est le four où les villageois vont cuire leur pain. Là, les champs de blé, plus haut les oliviers et leurs branches tordues. Là encore le puits où l’on tire l’eau claire et fraîche. Et là, notre maison…” 5 »
Bref, « de la Genèse à la résurrection de Jésus, [voilà] un ancien et un nouveau testaments racontés par Philippe Lechermeier, hors de tout propos religieux, et illustrés par 120 peintures et dessins de Rébecca Dautremer qui, dans le même esprit de liberté, apporte au projet son regard et sa vision de tous ces épisodes célèbres, qui irriguent l’histoire de l’art de l’Occident. » (Présentation de l'éditeur) À découvrir absolument!
Une Bible «comme un roman» Texte de Philippe Lechermeier Illustrations de Rébecca Dautremer Publié en 2014 par les éditions Gautier-Languereau. 408 p.