Le Repas de fraternité
Depuis des dizaines d’années déjà, des constats inquiétants interpellent l’Église catholique romaine du Québec et d’ailleurs : « D’une part, l’urbanisation a pratiquement détruit les communautés naturelles qu’étaient les villages et les quartiers des villes.
Depuis des dizaines d’années déjà, des constats inquiétants interpellent l’Église catholique romaine du Québec et d’ailleurs : « D’une part, l’urbanisation a pratiquement détruit les communautés naturelles qu’étaient les villages et les quartiers des villes. D’autre part, le nombre de prêtres a diminué considérablement. Il faut souvent regrouper les paroisses. Les participants aux assemblées eucharistiques dominicales ont de moins en moins de liens entre eux. Devant une telle situation, le risque est grand que l’Église perde de vue qu’elle est d’abord et avant tout la communauté des disciples de Jésus et qu’elle se réduise à n’être qu’une institution religieuse dispensant des services cultuels à des individus qui ne forment plus communauté1. »
André Gouzes, l’un des auteurs du livre qui présente ce repas, rappelle quant à lui, la perte de sens qu’a subie le repas-mémorial originel au cours du temps : « C’est au cours d’un repas qu’il laissera le "mémorial de sa mort et de sa résurrection, dans l’attente de son retour". Au cours des siècles, tout cela s’est obscurci. Les ritualismes, la mise à distance du sacré… et bien d’autres raisons encore nous ont fait perdre le sens, le goût de ces origines merveilleusement humaines et communautaires du repas fraternel, de sa grâce inventive aussi! Face à l’épuisement de nos assemblées "pratiquantes", souvent très individualistes et abstraites, ne faudrait-il pas hâter l’expérience-signe de "l’agape", du repas fraternel dans sa dimension domestique où l’accueil y est personnel et vrai, où l’amitié et ses fidélités vécues dans le quotidien y deviennent authentiques, où l’ouverture et la joie y font respirer un air de fête où affleurent le "Royaume" et sa grâce!2 »
Conscients des limites de la formule paroissiale traditionnelle, le père Georges Convert, Mario Bard et une douzaine de jeunes ont ouvert, dès 1996, un « centre culturel et spirituel chrétien », le Relais Mont-Royal, au cœur du Plateau, afin de retrouver la saveur et la vie des premières communautés chrétiennes, d'atteindre les jeunes (18 à 40 ans) par diverses activités de ressourcement, de prière (chants de Taizé), de retraites et de formation. L’idée du repas de fraternité a germé lentement à partir d’une réflexion commune à l’intérieur du Relais, après que Georges Convert fut interpellé par les repas de Shabbat, toujours vivants dans les communautés juives. Que signifiaient ces repas dans la vie de Jésus? Comment les a-t-il vécus avec ses disciples? Et comment ces repas peuvent-ils inspirer nos communautés chrétiennes aujourd’hui? Depuis une dizaine d’années, le « repas de fraternité en mémoire de Lui » fait partie de ces initiatives du Relais pour rassembler autour d’un repas mensuel quelques personnes – de 8 à 10 – affamées de la Parole et d’amitié, de sens et d’intériorité, d’une communauté à taille humaine. Pour plusieurs jeunes du Relais Mont-Royal, fils et filles de familles souvent disloquées, le « Repas » leur a donné une certaine stabilité, une certaine intimité dont ils avaient besoin. D’autant plus que la formule retenue permet la présence autour de la table de personnes croyantes, quelle que soit leur allégeance. Selon Mario Bard, longtemps animateur de ces « repas de fraternité », et Éric Vin, étudiant en psychologie à l’UQAM, qui anime depuis deux ans, le projet est surtout inspirant et transformant. Il amène les participants et participantes dans un lieu unique, un espace de foi, un espace qui ne peut exister que par ceux qui ont faim d’Évangile et pour eux. Il aura fallu beaucoup de discernement et d’échanges pour trouver une formule qui ne trahisse pas la tradition. Comme le rappelle Mario Bard : « Jamais, même si certains l’ont mal compris, les Repas n’ont voulu remplacer les célébrations eucharistiques. Jamais ceux qui président ces rencontres ne se sont autoproclamés prêtres et célébrants. Il s’agit de tout autre chose. Bien sûr, il y a un rituel, le déroulement de la rencontre s’inspire d’une célébration eucharistique, mais il s’agit d’un repas, un véritable repas… Par les Repas, la communauté se crée; par la communauté, la Parole se partage, se propage. L’Évangile se dit ou se chante parce que le chant est une partie importante de la rencontre. » Cette initiative heureuse, qui se veut un retour aux sources, a-t-elle été encouragée et semée par l’Institution? Il semble que non. L’Église anglicane, elle, a mis en place un projet de repas-partage appelé « Ecclésioles franglicans » (2011)3. Chez les catholiques romains, quelques rares initiatives, hors « cadre ecclésial », comme la collective L’Autre parole4, une « ecclésia des femmes » (1976), Chrétiens et chrétiennes dans la Cité (CCDC) (2006) et celle des Saisons d’Emmaüs (2012)5, saisonnières, sont d’une autre mouture et marquent une distance devant les structures institutionnelles. Où est passé le Souffle de l’audace, de la liberté et de la créativité? Serait-il sorti du temple?« Comme la foi peut être morte ou vivante, l’Église peut être morte ou vivante selon que son aspect communautaire est réel ou non, qu’elle est faite d’hommes et de femmes qui peuvent mettre ou non un nom sur chaque visage. » Jacques Loew