Présence et compassion sur le bitume
En 1995, à 24 ans, Daniel Paradis descend de son Abitibi natale vers Montréal avec un DEC en travail social et un certificat en théologie, mais surtout avec la compassion au cœur1.
En 1995, à 24 ans, Daniel Paradis descend de son Abitibi natale vers Montréal avec un DEC en travail social et un certificat en théologie, mais surtout avec la compassion au cœur1. Il avait entendu l’appel à venir en aide au gens de la rue. « Mais par où commencer devant un drame social d’une telle ampleur et avec qui s’allier? », se demande-t-il. Après quelques années d’engagement avec Christian Beaulieu, prêtre, au Centre de thérapie Le Pharillon dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, puis à Souffle de vie, maison de réinsertion des Sœurs de la Providence, il rencontre M. Hervé Hamel, p.s.s., curé-chapelain de la paroisse Saint-Jacques en plein centre-ville de Montréal. Celui-ci voyait et entendait la souffrance des gens de la rue, tout près, et il cherchait à leur venir en aide. Il fit confiance à Daniel. En 2001, M. Hamel et les marguilliers, ainsi que l’Aumônerie communautaire de Montréal (il y a beaucoup d’ex-détenus dans la rue), embauchent Daniel Paradis comme intervenant de rue au centre-ville de Montréal. Le curé lui donne une seule consigne : « Vas-y, soit présent! Fais-toi connaître! » Daniel se rappelle s’être senti « petit comme David devant Goliath ». Cette nouvelle ressource pastorale, rattachée d’abord à la paroisse Saint-Jacques, puis à Notre-Dame, porte d’abord le nom de Projet Compassion qui deviendra Présence Compassion en 2010. Sa principale mission est « d’intervenir, dans la rue, auprès des personnes en situation d’itinérance, ainsi qu’auprès des ex-détenus et des détenus en voie de libération. [Elle a] pour objectif de faciliter leur réinsertion sociale tout en améliorant leurs conditions de vie et en tenant compte des quatre dimensions humaines : physiologique, psychologique, sociale et spirituelle2 ».
Pour M. Paradis, « les nombreuses années de rencontres et d’observations auprès des personnes en situation d’itinérance nous ont permis de mieux les connaître et de partager leur grand besoin d’être considérées. Cette expérience a fait naître le désir de faire vivre, à un groupe de bénévoles et de stagiaires, des expériences de compassion, de façon sécuritaire, auprès de ces personnes défavorisées. Faire des actions pour apprendre à connaître, à accepter et à aimer, telles qu’elles sont, les personnes marginalisées3 ». Ainsi retrouve-t-on parmi ces stagiaires et ces bénévoles des étudiants en éducation spécialisée, en art thérapie, en criminologie, en théologie, en psychologie, en soins infirmiers, des « ex de la rue », des ex-détenus, un ex-aumônier-psychologue de pénitencier fédéral4. Cinq étudiants en criminologie sont demeurés bénévoles après leur stage. Plusieurs découvrent la foi chrétienne et deviennent des témoins. À cette équipe si variée, M. Paradis s’est adjoint d’autres collaborateurs du milieu pour les questions administratives et financières : l'UQÀM, l'Université de Montréal, la STM, la SPVM et la Banque nationale.
La fête de Noël de Présence Compassion se déroule au sous-sol de la chapelle Notre-Dame de Lourdes et rassemble autour de 70 personnes. Il y a aussi des activités de ressourcement en petits groupes, parfois à partir d’un texte biblique, de l’accompagnement psychologique et spirituel. « Il est alors question de relecture de sa vie, de discernement, précise M. Paradis, avec des questions comme : quels rêves habitaient ta jeunesse? Où veux-tu aller dans ta vie? Quelles personnes as-tu aimées le plus? Où et quand as-tu senti la présence de Dieu? » D’autres activités se tiennent en milieu carcéral, dans le métro et à la place Émilie-Gamelin, comme ce rituel en mémoire des disparus de l’année où des cailloux blancs ou des croix sont déposés par terre en signe de sépulture. Chaque année, depuis 2003, l’équipe de Présence Compassion anime la passion du Christ, soit par une paraliturgie à la chapelle Notre-Dame de Lourdes ou lors de l’office du Vendredi saint à la basilique Notre-Dame de Montréal.
À la sortie Sainte-Catherine de la station de métro Berri-UQAM, on croise une statue d’Émilie Tavernier-Gamelin, la main tendue dans un signe d’accueil et de partage. Nous sommes à la place Émilie-Gamelin où circulent beaucoup d’itinérants et de résidants du quartier. C’est de là aussi que sont partis la plupart des grands rassemblements du « printemps érable » demandant plus de justice sociale et de partage des richesses collectives. C’est dans ce parc, tout près de la sortie de métro, que Présence Compassion tient une table d’accueil tous les jeudis après-midi, avec café, croissants et brioches, pour prendre des nouvelles des habitués et sensibiliser les passants et les rapprocher des personnes itinérantes. Pour y être allé le jeudi 29 mai, autour d’une table appelée « la table des invités », j’ai vu l’équipe de bénévoles accueillir chaleureusement beaucoup d’habitués du parc et assurer le suivi auprès des « réguliers », certains clairement en peine. Présence Compassion est associée à la communauté des Sœurs de la Providence, fondée en 1843 pour répondre aux besoins des personnes pauvres, malades et marginalisées. Ainsi se poursuit, au fil des siècles, sous d’autres formes et avec de nouveaux visages, un même Souffle de compassion et de solidarité avec les exclus de la société.