Commission de vérité et réconciliation – la rencontre
J’ai assisté aux trois jours d’audience et d’exposition de documents par la Commission de vérité et réconciliation sur les écoles résidentielles, de passage à Montréal du 24 au 27 avril.
J’ai assisté aux trois jours d’audience et d’exposition de documents par la Commission de vérité et réconciliation sur les écoles résidentielles, de passage à Montréal du 24 au 27 avril. À la suite des pressions des Premières Nations auprès du gouvernement canadien, des excuses officielles leur ont été présentées par le premier ministre Stephen Harper en 2008 et une commission indépendante a été créée pour « offrir aux personnes touchées par les séquelles du système des pensionnats indiens une tribune privilégiée pour partager leur expérience1 » et contribuer à sensibiliser la population canadienne à ce drame historique. D’ailleurs, la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR) est en marche depuis 2008. Qui aurait pu imaginer une telle agression délibérée et habilement orchestrée d’assimilation des peuples amérindiens. « D’abord, les communautés ont été déplacées, isolées, déposées ça et là sur des territoires restreints, appauvris. Puis, on a coupé les liens familiaux. Les enfants ont été isolés, déposés ça et là sur des territoires vides de joie, d’amour, de sens. Ce genre de lieux épuise l’âme, empêche de grandir, d’aimer et de s’aimer. Comment refaire ensuite sa vie défaite?2 » Un génocide culturel qui concerne les Premières Nations et les Inuits, partout au Canada, et qui s’étend de 1870 à 1996. Quelque 150 000 enfants ont été déportés dans 132 écoles d’assimilation « pour tuer l’Indien au sein de l’enfant »; 4 134 enfants sont décédés. Comme bien d’autres victimes de tels sévices, comme les survivants de l’Holocauste, personne ne voulait croire leur témoignage. Comme le dit Richard (témoin no 44) : « Ce sont des crimes contre l’humanité qui ont été commis contre nous, puis il n’y a personne, personne qui va faire du temps pour ces crimes-là. »
Que pensaient les parents autochtones de tout cela? Il semble bien qu’ils aient été manipulés par le gouvernement canadien. « Ils ne s’opposaient pas à l’instruction. De fait, ils avaient insisté pour que des écoles soient créées en vertu des traités de l’Ouest. Cependant, il semble qu’ils aient plutôt compris qu’il s’agissait de la création d’écoles de jour dans les réserves. Depuis le début, les parents se méfiaient des écoles industrielles et, souvent, ils refusaient systématiquement de se séparer de leurs enfants, même lorsqu’ils étaient menacés d’être privés de leurs rations. Ceux qui y avaient quand même envoyé leurs enfants s’en ennuyaient tant qu’on les voyait camper près des écoles. Bon nombre d’entre eux réclamaient que leurs enfants leur soient retournés3. »
Pourtant, il y a eu plusieurs dénonciations de ce système carcéral, même par des fonctionnaires de l’État, mais sans suite. « Dans les années 1920, le commissaire aux Indiens, W. M. Graham, attira l’attention de Duncan Scott, surintendant aux Affaires indiennes de 1913 à 1932, sur plusieurs cas de sévices physiques et sexuels sur des élèves de pensionnats, le pressant d’agir au plus vite. Mais celui-ci refusa d’intervenir, de peur que les Églises, dont l’influence politique était loin d’être négligeable, ne deviennent des opposants. (Extrait de Recherches amérindiennes au Québec, vol. XLI, no 1)4 »
Églises et de communautés religieuses
Les Églises unies, presbytériennes et anglicanes ont présenté leurs excuses. Sur le site officiel de la CVR, on comprend la complexité de la situation pour l’Église catholique romaine, très impliquée dans ce projet d’assimilation. « Sur la question des pensionnats pour autochtones, seuls 16 des 70 diocèses que compte le Canada, de même qu’une trentaine de communautés religieuses, ont été associés aux pensionnats. Chaque diocèse et chaque communauté religieuse portent la responsabilité légale de leurs actes... » Toutefois, dans le mémoire présenté à la Commission royale d’enquête sur les Peuples aborigènes en novembre 1993, la Conférence des évêques catholiques du Canada n’a pas manqué de souligner que « les révélations troublantes à l’égard de certains abus commis dans des écoles-pensionnats nous ont notamment fait faire un sérieux examen de conscience5. » Déjà en 1991, des évêques et des responsables de communautés religieuses ont déclaré publiquement qu’ils « regrettaient profondément toutes les souffrances, les peines et les humiliations endurées par de nombreux aborigènes » dans les écoles-pensionnats6.
Les excuses de la Conférence oblate du Canada, présentées en 1991, sont particulièrement éclairantes : « Nous nous excusons du rôle que nous avons joué dans l’impérialisme culturel, ethnique et religieux qui a marqué la mentalité avec laquelle les peuples européens ont abordé les peuples autochtones et qui a constamment teinté la façon dont les gouvernements civils et les Églises ont traité les peuples autochtones... Nous reconnaissons que cette mentalité, dès le commencement et par la suite, a constamment mis en péril les traditions culturelles, linguistiques et religieuses des peuples autochtones. Nous nous rendons compte que bien des maux dont sont affligées les communautés autochtones – taux de chômage élevé, alcoolisme, détérioration de la vie de famille, violence familiale, taux de suicide effarant, manque de fierté, ne sont pas tant le résultat d’échecs personnels que le résultat de centaines d’années d’impérialisme systémique7. » Suivent des excuses bien affirmées pour les abus physiques et les agressions sexuelles.
Les Églises anglicanes, unies et presbytériennes impliquées dans la gestion des écoles résidentielles et quelques communautés religieuses catholiques, dont les Oblats, les Jésuites et la pastorale sociale de l’Église de Montréal étaient présentes sur place. Elles aidaient à l’identification des anciennes et anciens pensionnaires et des écoles à l’aide de listes et de photos. Quant aux sévices corporels et aux abus sexuels, ils sont peut-être difficiles à prouver, mais les révélations récentes qui couvrent des dizaines d’années d’abus sexuels dans des communautés religieuses et chez le clergé catholique ajoutent de la crédibilité à ces témoignages. Qu’on se rappelle le scandale (1970) survenu dans l’orphelinat Saint-Vincent de Terre-Neuve8 et le film Les garçons de Saint-Vincent (1992). Et les orphelins de Duplessis. La collusion de toutes les autorités a étouffé les cris et les dénonciations des enfants pendant des décennies. Dommage que les religieux qui se sont vraiment dévoués de tout cœur soient éclaboussés par ces injustices et agressions.
Il est essentiel de se parler en vérité et d’être bien entendu pour se réconcilier. Si l’ivraie et le bon grain demeurent entremêlés jusqu’à la fin des temps, il est de la responsabilité de tout citoyen et de toute citoyenne, et davantage encore des disciples de Jésus, de dénoncer courageusement les structures d’injustice et les responsables qui sèment et entretiennent l’ivraie. Il est essentiel aussi de « renchausser » le bon grain, d’être solidaires des victimes et des exclus de toutes sortes. Et un signe fort de guérison, selon les témoignages, c’est lorsqu’on ne se vit plus en victime, mais qu’on se met debout et qu’on reprend sa vie en main, du style « lève-toi, prend ton grabat et marche! Rentre chez toi! » Retrouve la Source de vie qui coule en abondance en toi et sois solidaire des opprimés et des exclus. Ce que font les Premières Nations. Une très longue marche de guérison est en cours qui touche plusieurs générations. Est-ce que j’emboite le pas lors des marches de solidarité comme celles qui se sont tenues (22e marche en 2013) pour dénoncer la négligence des autorités politiques et de la GRC concernant la disparition et l’assassinat de plus de 600 femmes autochtones au Canada (80 au Manitoba) depuis 20 ans9. Une très longue marche...