Romero : oublié?
Dans la capitale du El Salvador, San Salvador, on trouve un long mur de béton où 25 000 noms sont gravés à la mémoire des 90 000 citoyens et citoyennes, adultes et enfants, assassinés pendant la guerre civile par la dictature au pouvoir et les groupes paramilitaires appuyés par les États-Unis.
Dans la capitale du El Salvador, San Salvador, on trouve un long mur de béton où 25 000 noms sont gravés à la mémoire des 90 000 citoyens et citoyennes, adultes et enfants, assassinés pendant la guerre civile par la dictature au pouvoir et les groupes paramilitaires appuyés par les États-Unis. Un lieu de pèlerinage. Chaque visiteur y cherche un nom familier. Tous reconnaissent, enfoui dans ce mur comme dans son peuple, sans marque distinctive, Oscar Arnulfo Romero, l’archevêque assassiné lors d’une eucharistie, à la chapelle de l’hôpital, le 24 mars 1980. Il y a exactement 30 ans aujourd’hui. Le gouvernement du El Salvador vient de décréter cette date « journée nationale » en mémoire de ce citoyen « voix des pauvres » qui a donné sa vie pour son peuple.
Malgré une pratique pastorale conservatrice et un entourage d’évêques proches du pouvoir, l’assassinat de son ami le jésuite Rutilio Grande et de deux compagnons (mars 1977) a poussé l’évêque Romero à dénoncer les massacres, les disparitions, la torture et autres atteintes aux droits de l’homme du pouvoir. Sa parole dénonciatrice de toutes violences retentissait chaque dimanche dans sa cathédrale et à la station de radio religieuse Radio Ysax. Il s’est mis rapidement à dos les puissants du pays. La veille de son assassinat, il avait incité les soldats à suivre leur conscience d’abord et à ne pas suivre des ordres les forçant à tuer leurs frères et sœurs. Sa parole libre, son sens de la dignité humaine et sa solidarité avec les exclus et les opprimés lui ont coûté la vie. À la suite de Jésus Christ, c’est librement qu’il avait consenti à la donner. Depuis, il n’a cessé d’être présent et actif, bien vivant dans les cœurs et les actions de libération de son peuple et de tous ceux et celles qui se laissent inspirer par sa foi, son courage et son espérance jusque chez nous au Québec. Non seulement dans la communauté salvadorienne d’ici mais aussi dans de nombreux groupes chrétiens et réseaux de solidarité, de défense des droits humains et de la démocratie qui ont honoré sa mémoire et se sont inspirés de son engagement. Il y a de nombreuses années, jusqu’à mille personnes ont pris la rue lors des marches anniversaires. Cette année, des groupes chrétiens engagés socialement ont organisé des activités autour du 24 mars à Québec, à Trois-Rivières et à Montréal, comprenant des conférences sur les droits humains, la démocratie et les rapports Nord-Sud et une soirée commémorative à l’église Saint-Pierre-Apôtre, à Montréal.« Une Église qui ne s’unit pas aux pauvres et, à partir d’eux, ne dénonce pas les injustices commises contre eux n’est pas la véritable Église de Jésus Christ. » Oscar Romero
Romero n’est-il pas un exemple audacieux pour nous tous, en particulier pour les évêques d’ici et d’ailleurs, nous appelant à parler librement au nom de la dignité humaine et de l’Évangile. Bien sûr, la situation au Québec n’est pas comparable à cette du El Salvador d’alors. Mais, crise économique aidant, l’appauvrissement de la population se poursuit et les services mis en commun se font gruger continuellement. Les gouvernements s’alignent sur la création de richesse par le privé, mais au profit de leurs amis, et notre environnement est agressé par les compagnies minières, pétrolières et forestières en toute impunité. Ce sont les structures d’injustice dont parlait Jean-Paul II. Des citoyennes et des citoyens trempés de foi chrétienne ont donné l’exemple d’une parole libre et engagée; qu’on pense à Michel Chartrand et à Simone Monet. Ou à Richard Colvin qui a pris le risque de dénoncer la torture en Afghanistan. Ou à Richard Desjardins, poète et cinéaste. Ou à cet évêque de l’Alberta qui a dénoncé l’exploitation des sables bitumineux et à la lettre des évêques de Colombie-Britanique et du Yukon dénonçant la traite des femmes et des enfants à l’occasion des jeux de Vancouver. On trouve aussi les déclarations annuelles du premier mai du Comité des affaires sociales de l’Assemblée des évêques du Québec qui dénoncent des injustices, mais on n’en entend jamais parler en paroisse... Parler en vérité est toujours rare, alors que la langue de bois domine habituellement le discours politique et religieux officiel. En 2005, Henrik Lindell se demandait dans la revue Témoignage chrétien : « L’Église se souvient-elle d’Oscar Romero? » Pourtant, Romero figure parmi les dix martyrs chrétiens majeurs du XXe siècle honorés par l’Église anglicane dans Westminster Abbey, à Londres1. Trop dérangeant, Romero?« Combien d’hommes sont morts et combien meurent encore/ Ils sont pour notre monde cet envers du décor/ Cachés par les parades et les marches militaires/ Qui pourrait désormais les forcer à se taire? » Citation tirée de l’article de Bernard Duterme « Originalité et fragilité des mouvements indigènes en Amérique latine » dans le livre À l’image d’Oscar Romero (ouvrage collectif), Louvain-la-Neuve, 2009.