Ah, les écolos!
Le 10 mars dernier, le maire de Saguenay, Jean Tremblay, invitait, avec une certaine irritation, les travailleurs et les syndicats à se mobiliser contre les écologistes, spécialement de Greenpeace, et les intellectuels de ce monde.
Le 10 mars dernier, le maire de Saguenay, Jean Tremblay, invitait, avec une certaine irritation, les travailleurs et les syndicats à se mobiliser contre les écologistes, spécialement de Greenpeace, et les intellectuels de ce monde. Cette charge presque hargneuse est, en fait, symptomatique d'un incompréhension notoire du rôle des écologistes et de leur importance dans l'économie de notre monde.
Les « écologistes », dont certains médias parlent avec une pointe d'indifférence, teintée de mépris parfois, comme s'il s'agissait d'une race d'illuminés au même titre que les terroristes, ne font pas toujours bonne figure dans l'opinion publique. Par conséquent, ces « empêcheurs de tourner en rond » – notez que ce « rond » dont ils empêchent la course est souvent affaire de grandes entreprises ou d'intérêts privés dont ils menacent le profitable statu quo – passent souvent pour des utopistes, des hurluberlus, voire des «pelleteurs de nuages» aux yeux de plusieurs de nos contemporains. C'est même ainsi que notre propre gouvernement fédéral actuel, sous la houlette d'Harper, défend ses politiques et agit même, en coupant sans l'ombre d'une subtilité ou d'une gêne les fonds de plusieurs organismes qui s'opposent à ses vues étroites. Et je dis bien ici des « vues », qui se projettent souvent loin du réel.
Le 13 août dernier, c'était le jour du dépassement. Une journée qui arrive toujours plus tôt chaque année. L'année passée, elle avait lieu le 20 août; à titre d'indice, en 2009, elle tombait le 25 septembre. Mais dépassement de quoi? «Le jour du dépassement, ou jour du dépassement global, est une date dans l'année où, théoriquement, les ressources renouvelables de la planète pour cette année ont été consommées. Au-delà de cette date, l'humanité puise donc dans les réserves naturelles de la Terre d'une façon non réversible si bien qu'à terme, la raréfaction des ressources condamnera l'humanité à rationner les ressources et donc à entrer en décroissance. Cette date est calculée par l'ONG américaine Global Footprint Network, créatrice du concept d'empreinte écologique, et publiée sous le nom d'Earth Overshoot Day (« Jour du dépassement de la Terre »)1. »
De même, au Québec, on se targue souvent d'être des champions du recyclage. Bien que nos habitudes de recyclage soient assez bien ancrées et que la quantité de matières résiduelles envoyées au recyclage par les ménages augmente, il faut savoir que la quantité de déchets que nous produisons croît aussi2. Cette équation illustre bien à quel rythme nous continuons de consommer, tout en délestant notre conscience. Pour lutter contre la dilapidation des ressources, le recyclage est donc nécessaire, mais il se doit d'être inclus dans une démarche plus large qui doit envisager une certaine forme de décroissance. De même, on constate que nos municipalités ont souvent le réflexe encore trop facile d'envoyer au dépotoir les matières résiduelles, y compris les matières recyclables excédentaires, et traînent encore les pieds concernant la gestion adéquate des déchets. Sans parler des eaux usées...
De plus, on sait que les gadgets électroniques, bien utiles il faut le dire, que nous utilisons à profusion dans nos sociétés modernes utilisent toujours plus de ressources rares : les métaux spécifiques qui les composent, les terres rares les appelle-t-on, sont toujours plus difficiles à trouver et à extraire. Aussi, chaque nouvelle technologie contribuera-t-elle à raréfier d'autres ressources?
Ces tristes faits n'ont pour but que d'introduire cette question : dans ce contexte de ressources de plus en plus limitées, qui sont les véritables utopistes? Qui sont ceux qui se bercent d'illusions? Qui sont les « pelleteurs de nuages » notoires? Qui sont les vrais hurluberlus vivant en dehors de la réalité et entretenant des idées fausses à propos de la marche de notre monde et du roulement de notre économie? Ne serait-ce pas ceux qui croient toujours dur comme fer en la croissance illimitée du marché, à la disponibilité infinie des ressources, au mythe tenace du progrès à tout prix et aux avancements technologiques qui résoudront tout? J'ai parfois l'impression que ceux qui se complaisent dans les illusions sont nos propres élites dirigeantes et ces gestionnaires et économistes des domaines public et privé qui ne voient de solutions que dans la relance de l'économie, le progrès technologique, la quête de toujours plus de ressources et le libre-marché. La planète a tout de même bien ses limites! Et, à ce que je sache, une autre planète n'est pas encore à portée de mains, qui ne serait sûrement pas épargnée par nos griffes...
Loin de moi l'idée de jouer ici au prophète de malheur. Près de moi l'idée, plutôt, de faire valoir les prophètes d'aujourd'hui, à la vision claire. Dans notre contexte mondial actuel, les plus lucides et pragmatiques, à mon avis, ne sont-ils pas ces « écolos » ou « défenseurs de l'environnement » qui ont pris la juste mesure de notre réalité? Ne sont-ils pas ceux qui sont les plus conscients des vrais enjeux de nos sociétés? Chose certaine, forts de leurs convictions d'un monde meilleur – davantage à portée de mains qu'on n'ose le croire si la volonté politique y était –, ils travaillent d'arrache-pied à changer les mentalités, à transformer les habitudes, à convaincre les décideurs et les entreprises de passer à un autre paradigme, et surtout à prendre véritablement soin de notre monde. Qui s'en soucie mieux qu'eux? Ils sont conscients que tout cela n'est plus un choix, mais une nécessité. Ce sont des « rêveurs d'un monde meilleur », oui, mais qui déploient tous les efforts nécessaires, et ce, de façon désintéressée le plus souvent, pour préserver la richesse et la diversité de notre si belle planète!
Pour moi, ces « empêcheurs de tourner en rond » (après tout, il vaut mieux avancer que tourner sur nous-mêmes, non?), ces « rêveurs aux mains sales » qui ébranlent parfois notre doux confort, sont de ceux qui croient le plus en l'humanité, qui ont foi en sa possibilité de bouger, de s'élever et de transformer les choses. M. Guilbeault, dont je suis le parcours depuis des années, est de cette trempe : un véritable prophète des temps modernes, à la vision claire et riche de nuances. Inspiré par Jésus, comme il l'affirme, il se fait homme d'une grande sensibilité, qui se soucie du bien-être de l'humanité et croit en sa force et en sa capacité de changer. Dans le désert de nos sociétés rigides, butées, récalcitrantes, il avance à pas sûrs, patiemment, pour faire évoluer nos « vues » et ouvrir les esprits. C'est aussi, bien-sûr, un rêveur, mais un rêveur en action, qui devient modèle lui-même du changement à effectuer3… On reconnaît là les plus grands rêveurs, c'est-à-dire ceux qui mettent les mains à la pâte pour que ce en quoi ils croient adviennent – adviennent vraiment! –, et ce, à des lieues des mirages si chers à nos élites dirigeantes!