Des communautés chrétiennes à l’ère de la mobilité
« Nous voulons être des communautés missionnaires, donc pas fermées; nous voulons éviter ce qu’on a perçu dans plusieurs mouvances en Église : le repli identitaire ou le communautarisme ghetto » affirme sans détour le responsable du Tisonnier, Pierre-Olivier Tremblay.
« Nous voulons être des communautés missionnaires, donc pas fermées; nous voulons éviter ce qu’on a perçu dans plusieurs mouvances en Église : le repli identitaire ou le communautarisme ghetto » affirme sans détour le responsable du Tisonnier, Pierre-Olivier Tremblay. Le jeune prêtre oblat de 35 ans s’empresse d’ajouter : « Nous ne sommes pas non plus un groupe que j’appelle Jello, sans identité, où n’importe qui vient et n’importe quoi se passe. Nous sommes entre deux : ni ghetto ni Jello. Nous sommes une communauté avec une colonne vertébrale. Au lieu que l’identité soit extérieure, elle devient intérieure. Elle est fondée sur des principes, une formation, un cheminement. » Pour le pasteur du groupe, il y a dans cette expérience des « formes de communautés d’avenir », et ce, au-delà des modalités de rassemblement : « On a trop souvent imaginé une communauté comme un lieu de gens convertis, dit-il, nous sommes en cheminement et non pas une communauté qui prétend avoir toutes les réponses et avec un message tout fait. »
Aux origines
C’est dans le nord du Québec que débutèrent la réflexion et l’expérimentation de ce modèle d’Église. À Chibougamau, le jeune religieux a travaillé à la mise en place de cellules d’évangélisation créées en lien avec la paroisse. « Assez rapidement, ce que j’ai perçu, c’est la force incroyable de la dynamique des petits groupes : ils facilitent la prise de parole et l’émergence de la parole pour ceux pour qui c’est plus difficile; ils valorisent le leadership des laïcs et permettent une intégration, une incarnation du message de l’Évangile dans le vécu des gens. » Mais le fait d’être rattachés à une paroisse traditionnelle montrait vite ses limites. « C’est comme si on essayait de faire une greffe entre deux dynamiques », a-t-il constaté.
De retour à Québec, il y a trois ans, il a été dégagé par sa communauté pour « essayer quelque chose de neuf, ouvrir des chemins nouveaux ». « En ville, je voulais aller plus loin. Ma préoccupation, c’est de voir la grande mobilité des gens d’aujourd’hui », soutien-t-il. « Le tout a commencé avec un groupe de jeunes adultes, douze au départ, en avril 2003. [...] Dans Actes 2, 46-47, on raconte que les premiers chrétiens se rassemblaient au temple, mais aussi dans les maisons. Ça a frappé notre groupe. [...] Notre intuition, c’est que le groupe ne doit pas dépasser le nombre de 15 personnes. C’est un seuil critique. Au-delà, on perd beaucoup de choses : la spontanéité, l’intimité. Ça devient plus formel. »
Aujourd’hui, le réseau du Tisonnier comprend une soixantaine de membres, en majorité de jeunes adultes, mais non exclusivement. Des membres forment actuellement deux cellules d’une dizaine de personnes qui se réunissent chez des individus toutes les deux semaines. Partage sur le vécu, lecture biblique et discussion, temps d’intériorité, chants sont au programme. Mais ça ne s’arrête pas là : « Au Tisonnier, on essaie d’atteindre un équilibre entre différents lieux : l’assemblée qui réunit les membres (pas toujours eucharistique, deux fois par mois), les cellules de dix personnes et le réseau (liens par Internet). »
Une alternative à la paroisse
« L’identification à une paroisse territoriale n’existe plus, il y a un gouffre générationnel qui va en s’amplifiant, il y a même un gouffre culturel entre le langage ecclésial et le langage courant des nouvelles générations. Va-t-on mettre toutes nos énergies à tenter une fameuse mutation des paroisses? Je ne suis pas convaincu des résultats. Ne devrait-on pas tenter plutôt de faire naître de nouvelles formes de communautés chrétiennes? », déclare M. Tremblay.
Selon lui, on est passé à côté de plusieurs enjeux dans la manière de penser la communauté. « La paroisse est née dans une époque rurale de grande stabilité, de sédentarité, rappelle-t-il. Aujourd’hui, ce qui prédomine, c’est la mobilité liée aux moyens de transport et aux moyens de communication. Tout cela élargit notre rapport à l’espace, ce qui fait que nos structures sont désuètes. Alors comment imaginer des communautés plus mobiles, et durables? » Le Tisonnier se veut une réponse à cette interrogation en offrant une formule plus ancrée à la réalité moderne et urbaine.
Le rayonnement du réseau
Surtout, le Tisonnier veut miser sur la participation. Et malgré une certaine mobilité des membres, du réseau a surgi un véritable rayonnement : « Des bénévoles issus du Tisonnier ont parti le journal Participe présent. C’est un journal qui veut rejoindre les jeunes adultes de la région de Québec, sur les enjeux sociaux, culturels avec une ligne éditoriale chrétienne mais implicite1. On a un groupe d’action sociale sensible aux enjeux d’environnement et de justice. On a une petite chorale. On a un groupe de sports et de loisirs. Une équipe de coordination, un comité de liturgie. Sur 50 membres plus réguliers, la moitié font partie d’une cellule ou d’un comité. C’est un très haut taux de participation... » D’autres groupes de l’extérieur se sont inspirés du Tisonnier, qu’ils ont adapté à leur façon. À Montréal existe déjà un groupe de 20 personnes et une quinzaine d’autres personnes se réunissent à Sherbrooke.
La volonté d’inculturation a non seulement permis l’émergence du « modèle Tisonnier », mais est inscrite au cœur même du réseau, qui désire être en « dialogue de façon bienveillante avec la culture québécoise de ce temps tout en se gardant la liberté de l’interpeller si nécessaire », tel que le mentionne le document présentant la vision de l’organisation.