Zo, le poète du fleuve
Avec la fin de l’hiver, arrivent les crues et les débâcles.
Avec la fin de l’hiver, arrivent les crues et les débâcles. Et les eaux printanières des rivières charrient les débris de bois, les troncs d’arbres arrachés au passage, jusqu’au fleuve. Au gré des courants, les bois lavés et polis par l’eau et les intempéries voyagent jusqu’à l’embouchure du fleuve... puis les berges accueillantes, au hasard des vagues, recueillent ces bois de grève.
Un homme, Zo, chaque printemps, au moment des grandes marées, part en quête de ces pièces de bois, qui arrivent comme de véritables cadeaux du ciel pour lui. Il habite Grosses-Roches, en Gaspésie, et il est sculpteur de bois de grève. Nous avons rencontré l’artiste, Daniel Desaulniers de son vrai nom, et nous lui avons posé, intrigués, quelques questions sur son travail de création...
Sdf.info – Bonjour Zo. Si tu avais à te présenter, comment te décrirais-tu?
Zo – Comme un poète du fleuve. Je suis quelqu’un qui travaille avec le fleuve, qui le fait parler. L’idée que j’avais au départ était de donner vie à cette dimension de la plage, un peu oubliée, qui est vraiment une ressource naturelle incroyable. C’est ce qui m’a amené en Gaspésie. [...] Je travaillais dans un milieu artistique, dans le domaine de la musique surtout. L’âge avançant un peu, ça devenait épuisant, et je cherchais autre chose. En me promenant ici sur les plages, ça a été un coup de foudre de trouver ces bois, assez pour décider de déménager. J’ai tout vendu ce que j’avais à Shawinigan, et j’ai acheté une maison ici. Maintenant, ça fait 4 ans que je suis installé à Grosses-Roches.
Sdf.info – Toute une aventure! Tu as vécu une sorte d’appel du bois...
Zo – Absolument, ça a été un engouement. Au départ, j’aurais cru gagner mes sous d’abord en peignant, et en sculptant les bois pour le plaisir. Mais j’ai eu une belle demande pour les pièces que j’ai sculptées. Les gens de la région ont trouvé ça intéressant. Ils s’identifient beaucoup à ces bois-là. Ils en mettent spontanément dans leur cour, sans même qu’ils soient sculptés. Ils reconnaissent déjà ces bois de grève comme des œuvres d’art. C’est ce qui est intéressant pour moi. [...] D’ailleurs, les deux premières expositions que j’ai faites, je les ai appelées « La recherche du langage », parce que ça se situait sur ce plan-là : mettre un langage en commun entre moi, ce bois-là, puis le public. Je voulais aussi mettre de l’avant l’idée que le fleuve et la terre parlent.
Sdf.info – Dans ton atelier, comment procèdes-tu? Sur ton site Web, tu dis que tu parles avec le bois.
Zo – Le bois a plein d’histoires à raconter, banales, complexes ou très simples. [...] Il s’agit justement de discuter avec ce bois-là, de le placer là, de le regarder sous tous ces angles. Il y a certains bois qui recèlent plusieurs histoires. Il faut choisir. À cause de l’aspect plastique, je ne peux pas tout faire. Il faut que je choisisse ce qui va être beau à l’œil. C’est le bois qui parle, qui discute. Je suis les mains. Et le bois me conte des choses. Il ne vous conterait sûrement pas la même chose.
Sdf.info – Que t’apporte cette démarche, côtés personnel, humain et artistique?
Zo – Ça m’amène beaucoup. Les gens viennent me voir. Un jour, une femme est allée voir mon exposition, puis s’est arrêtée à mon atelier. Elle m’a dit qu’elle avait le cancer, qu’elle allait mourir bientôt. Elle a ajouté : « Moi, avant de partir, je veux voir ce qu’il y a de plus beau. Ton exposition en fait partie. » C’est très valorisant d’entendre ça. Ton métier sert alors vraiment à quelque chose, plus qu’à gagner son pain. J’ai plein de témoignages de ce genre. Des jeunes qui trouvent ça beau et veulent commencer à en faire, des gens qui achètent une pièce parce qu’ils sont touchés, parce que le visage sculpté ressemble à leur grand-père. Et ils m’en parlent pendant plus d’une heure... Ce que ça m’apporte, c’est de me sentir entre le ciel et la terre tout le temps. Je me plais à dire à mes amis que les artistes sont des enfants des anges. Prenez-en soin! Ce sont des gens très vulnérables qui ne demandent qu’à emmener plus de beau. On est très exploités dans cette société qui n’en a que pour l’argent. Et les artistes sont des contestataires. Ce sont eux qui ont encore le droit de dire quelque chose. [...] Et qui se battent aussi pour essayer de sauver la région...
Sdf.info – C’est donc un peu sacré ce que tu fais...
Zo – Je ne dirais pas un peu, je dirais très sacré. Il faut faire une différence entre le commerce et l’implication de l’artiste. Ce n’est pas parce qu’un artiste est populaire qu’il n’est pas nécessairement sincère. Son œuvre se fait dans une démarche de recueillement souvent. À mon idée, il n’y a pas un artiste qui passe à côté de ça. [...] La créativité, à mon idée, est le plus beau cadeau qu’on a reçu. Il n’y en a pas de plus beau. Pouvoir travailler avec ça à temps plein, c’est plus qu’on peut en espérer dans une vie. Quand on reçoit un cadeau comme ça, il faut l’exploiter.
Sdf.info – Peux-tu me parler de ton cheminement ou de ta démarche spirituelle?
Zo – Je me définis comme un artiste. Et à mon idée, un artiste est déjà là. [...] Un jour, on a dit à ma sœur : « Ton frère, il n’est pas sur la terre. Il est entre le ciel et la terre. » Mes amis artistes sont tous pareils, dans la créativité, entre le ciel et la terre. Puis quand on parle de créativité, c’est notre prière, notre offrande. Il n’y a pas une pièce que je fais en ne me disant pas que c’est une offrande à Dieu, à la Vie. On a tous à remettre quelque chose. J’ai un talent, je le remets. Puis je ne pose pas de questions. C’est mon chemin... Je pense que la Divinité est là, dans le fait d’exploiter son talent, de faire profiter du meilleur de ce qu’on est aux autres. L’art nous amène vite à ça.
Sdf.info – Tu as déjà dit : quand on est proches de la nature, on ne peut pas ne pas être spirituels... Zo – C’est sûr que quand on vit proche du fleuve, quand on voit toute l’immensité et la force de tout ça... La plupart des gens qui viennent vivre ici le font pour cette recherche spirituelle-là. On s’en vient sur le bord de l’eau. Dieu est là, c’est clair, dans chacune des roches, dans l’eau, dans les vagues, dans le vent. Tu ne peux pas passer à côté. Cette force, elle est là. Il y en a une force, crois-moi. [...] Moi, j’ai découvert, avec cette nature-là, que j’ai la même force en moi. On est fait de la même façon, des mêmes éléments. On est du roc, on est de l’eau. Et si fort que la nature intervienne, aussi fort peut-on le faire. Comme une vague vit – elle monte, elle meurt –, nous sommes aussi. C’est très recueillant. Ça nous amène loin dans notre démarche. Beaucoup d’écrivains viennent ici pour écrire. Sdf.info – Quand on regarde tes œuvres, on peut voir des christs, des résurrections. Est-ce cela? Zo – C’est le bois qui parle. Si je crois en ces symboles? Comment te dirais-je. Je crois en la religion judéo-chrétienne, j’ai été élevé dans cette foi-là. Mais la création m’amène à une recherche plus grande, carrément plus large. Je te donne un exemple. La Société d’Alzheimer m’a demandé de faire un prix pour remettre à quelqu’un. Tu ne peux pas faire une pièce comme ça et rester froid. Si bien que j’en suis venu à me poser la question : pourquoi les gens sont-ils malades? À force de sculpter, j’en suis venu à répondre : si personne n’était jamais malade, on aurait le cœur tellement dur. On serait des robots, on se frapperait dessus. Quand tu es malade, combien vont se mobiliser pour être sûr que tu vas bien. J’ai compris que cette dimension humanisait la société. Sdf.info – Une parole de sage! Peut-on dire que la pratique de l’art est proche de la méditation? Zo – Le bois a beaucoup de sagesse, je dois dire. Ce bois-là m’amène des réponses, des choses... à une belle recherche. Ce n’est pas juste sculpter. Je suis sculpté par le bois. [...] Le fait de se retirer, on pense beaucoup. Le bois de grève m’amène à la méditation. Ce n’est pas penser pour penser. Quand tu es en train de traiter d’un sujet – par exemple, j’ai fait un homme qui tient un poisson à bout de bras; ça représente la Gaspésie –, j’ai pu penser au travail de ces gens. Comment ils sont et pourquoi ils sont agressifs envers telle chose, ou corrects envers telle autre. Tu ne peux pas sculpter des heures de temps sans donner une âme à ta pièce. Cette âme-là, c’est toute ta discussion avec ton bois. Si je sculptais un bois laminé, je ne sais pas si j’aurais la même discussion qu’avec un bois de grève. Je ne l’ai jamais fait. Ça ne m’intéresse pas. J’ai deux ou trois amis qui étaient de très bons sculpteurs de meuble. Ils faisaient des tours de miroir, des affaires incroyables, du floral, des oiseaux, avec beaucoup de talent. Ils ont décidé de s’associer aussi à l’action du bois de mer. Il y a quelque chose de plus quand tu travailles. Il y a une dimension divine là qui n’est pas ailleurs. C’est la nature qui parle. Personne ne renie ça quand on travaille avec ce matériel-là. [...] Et j’ai bien hâte que les plages fondent pour aller voir les nouveaux trésors qu’il y aura!Zo s’engage aussi énormément, avec d’autres artistes, à mettre sur pied différents projets pour développer la région. Il travaille actuellement à un projet d’école du bois de grève qui pourra accueillir les personnes à mobilité réduite et leur permettre de s’exprimer, de travailler le bois à leur manière, d’entrer en contact avec la matière.
Comme il dit : « On croit au développement. On croit à l’art. Mais quand vient le temps des subventions, tout le monde ici se chicane un fond de portefeuille. Ça devient très difficile. Il faut aller voir du côté de l’investissement privé. C’est ce que je développe le plus, ces temps-ci, essayer de me faire des partenaires financiers. »