Sur les pas ardents d’un chercheur de sens
À 37 ans, Xavier Gravend-Tirole se décrit comme un « chercheur de sens », presque au sens d’« explorateur » et de « voyageur ».
À 37 ans, Xavier Gravend-Tirole se décrit comme un « chercheur de sens », presque au sens d’« explorateur » et de « voyageur ». Pour lui, chercher du sens est une démarche qui se situe au cœur de la spiritualité : c’est tenter de « donner un sens au monde », se mettre en quête « de ce qui nous épanouit », construire une véritable « solidarité avec l’autre ». Cette quête l’a mené jusqu’en Suisse, où il termine actuellement un doctorat en théologie...
Mais avant d’en arriver là, Xavier a porté bien des bagages. Né à Montréal de parents français, il fait ses études au Québec, fréquente le mouvement La Relève et, dans la vingtaine, avec d’autres jeunes, fonde Le Relais Mont-Royal1 où il vivra « sa véritable christianisation ». En parallèle, il entreprend des études universitaires en philosophie et en science des religions. Puis, c’est le départ pour un tour du monde des religions, un voyage d’un an et demi : Israël, Palestine, Égypte, Turquie, Inde et Mexique, entre autres. La question de la prêtrise le taraude depuis longtemps, et continue de le hanter. C’est pourquoi, dès son retour, il poursuit des études en théologie à l’Institut catholique de Paris, où il découvrira deux choses significatives : « Une fidélité à l’Évangile et une plus grande liberté vis-à-vis de son interprétation et des institutions. » Plus tard, il réalise que devenir prêtre n’est pas pour lui. « J’allais trop agacer l’Église par mon côté progressiste et explorateur. J’allais aussi être agacé par cette Église trop versée dans la discipline, alors que, comme théologien, je me disais que j’aurais beaucoup plus de liberté – celle d’aller dans les champs truffés de mines, comme me disait un professeur. » En 2004, il est accepté à Harvard et fait le Master of theological studies. C’est là qu’il a la piqûre pour la recherche et que la figure de l’intellectuel public l’interpelle. Après sa maîtrise, il entreprend alors un doctorat en cotutelle avec les universités de Montréal et de Lausanne...
En 2012, Xavier publie Lettres à Kateri2, un roman qui met en scène une correspondance entre Xavier, un jeune qui vient de tout quitter pour la vie monastique, et son ex-copine Kateri, une athée. Un roman épistolaire qui lui permettra d’exposer sa vision d’un christianisme « progressif, alternatif, moderne et libre ». Nous l’avons rencontré et il a accepté de répondre à nos questions.
SDF – Qu’est-ce qui t’a amené à écrire ce livre où tu présentes un dialogue entre ce jeune moine se réclamant d’un christianisme ouvert et Kateri, critique envers tout ce que représente l’Église?
XGT – Les Lettres à Kateri sont comme un dialogue avec moi-même. Je ne suis pas seulement Xavier, je suis Kateri. Je suis aussi Paolo, Piotr, Sophie, tous ces personnages, c’est-à-dire ces différentes voix ou questions qui m’habitent. Dans les Lettres, je voulais repenser le christianisme et présenter en quoi il est encore pertinent aujourd’hui, sans juste en faire l’apologie. Ce livre est aussi un manifeste, une critique du christianisme qui hésite à entrer dans un dialogue avec le monde contemporain. Pour moi, le christianisme a besoin de ce dialogue, et le catholicisme encore plus!
SDF – Comment vois-tu ce dialogue entre la tradition chrétienne et le monde contemporain?
XGT – Ce dialogue est vraiment fondamental. Nous sommes pourtant devant un repli dangereux de l’Église : elle s’étouffe elle-même. À long terme, c’est l’asphyxie. C’est pourquoi il importe qu’elle entre dans le dialogue! Dialoguer, c’est entrer dans l’inconnu, accepter que ça nous transforme. Ça peut faire peur, nous faire perdre nos moyens, car les certitudes s’estompent... Plusieurs ont d’ailleurs voulu freiner cette dynamique du dialogue; il fissurait trop les blocs de granit sur lesquels on a voulu asseoir l’Église. Pour moi, que ça se fissure ne me dérange pas : ce n’est pas grave, c’est beau! Ce ne sont pas les temples qu’on doit adorer. Adorer en vérité, c’est retourner à l’esprit. Dans le christianisme, une chose me parle beaucoup : le mystère pascal. Il y a, dans le dialogue, une certaine forme de mort à soi-même, mais ce mystère nous dit qu’au-delà de la mort, c’est la résurrection. Comment penser cette transformation? On ne le sait pas tant qu’on n’a pas fait le chemin. Et les crises sont bonnes: elles font avancer. Si on reste dans le statisme, c’est là qu’on meurt. Quand je regarde la Nouvelle Évangélisation, et cette manière de vouloir imposer des certitudes, j’y vois un peu de triomphalisme: on va vous montrer quoi faire, on a la vérité! C’est tragique : il faut développer l’attitude contraire...
SDF – Tu dis être plus à l’aise avec les questions de Kateri qu’avec les réponses du moine...
XGT – La racine des mots question et quête est la même. Donc, la question, c’est la quête. La réponse, c’est notre Graal, si l’on veut. On ne l’atteint pas forcément; en chemin, on se transforme, on recule... et ce n’est pas grave. L’important, c’est cette quête, et de voir comment on habite le chemin à parcourir, ces questions, comment on les laisse vivre en nous, comment elles nous altèrent. Elles nous enrichissent, nous font découvrir de nouvelles contrées, nous secouent. Pour moi, l’Église devrait entrer dans cette logique du pèlerinage, comme elle l’a affirmé au concile Vatican II. Je ne raconte rien de nouveau. Le problème, c’est qu’on ne vit pas nos paroles ni l’évangile. Si on affirme que Dieu est amour, que Iéschoua3, son Fils, est l’amour incarné, que l’Esprit d’amour nous habite, il faut entrer dans cette logique, c’est-à-dire accepter la diversité qu’il y a dans l’Église et le monde, et s’en réjouir. Vouloir que l’autre grandisse pour ce qu’il est, aille vers ce à quoi il est appelé, sans le ramener à soi ni se l’approprier. L’amour, c’est aussi entrer dans sa fragilité, et accueillir celle des autres. L’Église institution fait exactement le contraire : elle fait preuve de paranoïa. Elle mise sur la sécurité et veut cacher ses faiblesses. Elle est pourtant capable d’entrer dans la diversité du monde, mais se présente comme un rempart qui doit lutter contre l’adversité. Le monde est un adversaire. À mon avis, c’est grâce au monde que le christianisme respire, se renouvelle; il vient donner de la chair à ma pensée. Et inversement, l’Église est aussi appelée à apporter sa pierre, mais ce n’est plus elle qui organise la société. Tant mieux! Pourrait-on penser l’Église telle une boulangerie où on donne du pain, mais où on reçoit la farine d’ailleurs? C’est ce que j’illustre dans mon livre avec le monastère du Désert du jour. SDF – Ce christianisme moderne et libre a-t-il de l’avenir? Comment prend-il forme pour toi? XGT – Il faut accepter ici d’entrer dans l’invisible. Le christianisme est plus grand que ses seules institutions. Il y a cette majorité silencieuse, invisible, mais très présente et beaucoup plus forte. Quand je rencontre des gens, je vois l’élan de spiritualité qui les habite chacun. Ceux-ci ne vont pas nécessairement formaliser leur démarche en allant à la messe ou en faisant des gestes religieux. Reste qu’il y a ce souffle très fort qu’on ne voit pas. Il faut sortir, nous chrétiens alternatifs et tous les autres, de cette mentalité du membership. Quand on parle d’appartenance, c’est comme si on avait sa carte de membre et devait avoir accès à tous les avantages qu’elle procure. Cette vision ne va plus pour aujourd’hui. Pour vivre dans la société postmoderne que nous connaissons, il faut penser autrement la fidélité à une tradition. J’aime bien le mot solidarité. Être en solidarité avec. Beaucoup sont en solidarité avec le message chrétien, avec certaines formes d’Église, mais certainement pas avec ces positions contre le mariage gay, le préservatif, etc. Ce christianisme alternatif, je le vois aussi dans Sdf.info, le Relais Mont-Royal, la Conférence des baptisés de France et bien d’autres lieux, comme les microcommunautés qui se réunissent pour partager la Parole. Tous ces réseaux existent, mais on est encore incapables de penser à un mode d’organisation ecclésial qui prennent en compte toutes ces formes. Pourtant, le réseau des chercheurs de sens est très vaste... SDF – Comment cela se concrétise-t-il dans ta vie et autour de toi? XGT – Il y a une autre dimension qui rejoint tout à fait ce que je viens de dire : c’est la mystique et la contemplation. Et ça, ça ne se compte pas! Comment va-t-on savoir qui prie dans sa chambre ou est en train de contempler en marchant dans la forêt? Tellement de gens sont engagés de manière discrète dans leur spiritualité et n’osent pas en parler aux autres. Il y a énormément d’avenir là. Je pense aussi à cette dimension du non-faire, du silence qui vient donner du sens au reste. Le christianisme tombe parfois un peu facilement dans l’activisme – auquel je crois totalement, bien sûr! –, mais si on n’utilise pas l’autre main, si on n’arrête pas pour prier, c’est vide. Cette phrase de Julien Gracq me plaît énormément : « Tant de mains pour sauver le monde et si peu de regards pour le contempler. » En un mot, le christianisme, c’est l’amour. Après, il suffit de le décliner. Qu’est-ce que cet amour? Comment le vivre? Qu’est-ce qu’il entraîne aujourd’hui? Comment être vraiment solidaires?« Le christianisme est une tradition habitée par la joie, l’amour et la paix, qui n’essaie pas de ramener l’autre à soi, mais qui ose lui sourire avec douceur, quel que soit son chemin. Une tradition qui ne se retranche pas derrière une citadelle de certitudes, mais qui ose entendre et se mesurer aux grands vents des questions contemporaines. Une tradition qui ne fait pas naître en soi la crainte de sinistres lendemains, mais plutôt un profond bonheur de vivre. » Xavier GRAVEND-TIROLE, Lettres à Kateri, Le Jour, p. 13-14.