Jean Proulx : un grand ami de la sagesse et du cosmos
« Ce qui me définit vraiment, c’est d’être un philosophe.
« Ce qui me définit vraiment, c’est d’être un philosophe. Je ne suis pas un savant ni un sage, mais un ami de la sagesse, confie Jean Proulx, d’entrée de jeu. Et la sagesse pour moi, c’est d’essayer de trouver le sens de la vie. » D’emblée, il ajoute : « Ce que j’ai fait essentiellement dans ma vie, c’est la parole et l’écriture. Dès que j’ai commencé à étudier, j’y ai pris goût. » Au Séminaire de Québec, où il fait ses études, il s’intéresse tôt aux questions existentielles. Après des études en théologie à Ottawa, puis en philosophie à Montréal, il commence à enseigner la philosophe, en 1967, au cégep Ahunstic, où il œuvre pendant 15 ans. Puis, Camille Laurin, alors ministre de l’Éducation, fait appel à ses talents et lui demande d’écrire ses discours et de « l’aider à préciser sa pensée ». Sa vocation pour la parole et l’écriture se confirme. De retour à Québec, après deux années de service auprès du ministre, on lui offre le poste de directeur de recherche en éducation aux adultes. Peu après, il devient secrétaire du Conseil supérieur de l’éducation où il travaillera avec « des gens qui font de la recherche et qui écrivent » et où il passera « ses plus belles années ». Il occupe ce poste jusqu’à sa retraite, en 1996. « Là, j’ai dit : je réalise mon rêve. Je fais quoi? Écrire et parler. Écrire et enseigner. C’est ma vie ». Depuis, il a écrit plusieurs livres, tout aussi poétiques qu’inspirants, et il se voue à l’enseignement de la philosophie dans le cadre de l’Université du 3e âge, à l’Université Laval...
Sdf.info – Vous êtes philosophe et vous vous intéressez à la dimension spirituelle?
J. P. – La philosophie s’intéresse à tout; elle s’intéresse donc aussi à la quête spirituelle. On peut le faire de façon détachée, l’étudier comme un objet. Mon attitude philosophique, ma recherche est aussi essai, si on peut dire. Je ne suis pas capable de faire une étude purement objective. Je m’y implique. J’ai une formation en théologie et je me suis intéressé aux traditions spirituelles qui nous donnent des expériences profondes. Ça m’intéressait comme objet de réflexion philosophique. Je me suis beaucoup intéressé à l’art aussi, et ces dernières années, au cosmos. [...] Quand je m’intéresse à la quête spirituelle, je prends position : pour moi, le sommet de la conscience humaine, c’est la conscience spirituelle. [...] Je me définis comme philosophe croyant. Pas nécessairement chrétien, mais croyant, parce que je crois que l’Être l’emporte sur le néant. J’intègre beaucoup d’éléments du christianisme. Et comme philosophe, je suis ouvert à la quête spirituelle. Ça me passionne. Je crois dans les expériences du Divin présentes dans toutes les traditions spirituelles. Je m’intéresse aux grandes expériences de l’Être, aux gens qui ont vécu leur rapport à l’Être d’une façon particulière, qu’ils la nomment Tao, Chi, Atman, Brahman, ou le Père, comme saint Jean. Ils ont donné à Dieu toute sorte de noms, mais aucun nom n’épuise Dieu, qui est à la fois l’Être, le Tout cosmique, ce que je suis. La quête spirituelle, c’est ce qui cherche à trouver le sens ultime de l’existence, comme dit Paul Tillich, un sens englobant. Dans notre monde moderne, cette dimension, les gens l’avaient un peu oubliée, mais les gens sont en train de la retrouver tranquillement. Ils sont assoiffés de sens. Souvent, ils ont balancé les institutions, mais ils ont un besoin de recherche personnelle. Je me suis dit : pourquoi je n’aiderais pas des gens dans la quête du sens, non seulement dans ce que j’ai abordé dans Artisans de la beauté du monde1 où je touche les valeurs et où je propose un art de vivre, mais aussi sur le sens dernier qui peut englober tous les autres sens.
Sdf.info – Ce que vous faites en donnant un cours de philosophie sur la quête spirituelle...
J. P. – Je veux aider les gens à faire leur propre démarche ou quête spirituelle. Avoir les outils, et avoir le goût de la faire et les outils pour la faire. Quand on parle du taoïsme par exemple, ou d’autres traditions spirituelles, c’est pour aller y chercher des outils et en tirer la richesse. Le christianisme nait d’une expérience de détresse et d’enchantement, d’expériences profondément humaines. Et tous les êtres humains vivent de telles expériences. La quête spirituelle nait de là. Elle est la recherche du sens le plus englobant et ultime qui veut donner sens à ce que l’on vit dans nos détresses comme dans nos enchantements.
Sdf.info – Vous faites souvent référence au fait que la science ne s’oppose pas à la foi.
J. P. – Je dirais : foi et intelligence. Pour moi, ce ne sont pas deux mondes. Le savant commence sa quête parce qu’il est en admiration devant le monde. C’était le cas d’Einstein. Mieux que ça : un savant comme Einstein croit que le sens est possible, que l’univers peut révéler son intelligibilité, dire son sens; autrement dit, qu’il y a du sens dans l’univers. Une foi profonde, même chez le savant, précède la démarche scientifique. Même chose en philosophie : on croit que le sens peut se dévoiler. On commence par un acte de foi. Ensuite, on fait une démarche rationnelle : on lit des choses, on utilise des concepts, on fait des raisonnements. Et cela nourrit notre foi. Le philosophe Paul Ricœur appelait ça le cercle herméneutique, c’est-à-dire le cercle de l’interprétation. La foi nourrit ton désir de connaître et le désir de connaître nourrit ta foi.
Sdf.info – Les scientifiques connaissent aussi le sentiment religieux, l’émerveillement...
J. P. – Oui, ils sont émus par l’élégance d’une équation, par exemple. Ils vivent de l’émotion, de l’admiration, de l’étonnement, de l’émerveillement devant l’univers. Chez Einstein, ce grand savant du 20e siècle, c’est évident. Il dit qu’il va de l’étonnement à l’émerveillement. Son émerveillement, il le nomme même, sans aucune honte : le sentiment religieux cosmique. Ce sentiment l’aide à poursuivre sa recherche. Il poursuit sa quête pour nourrir ce sentiment religieux cosmique, son admiration devant le cosmos. Et ces étonnements vont s’exprimer par des recherches rationnelles, très mathématiques. Il n’y a pas d’opposition fondamentale. C’est la même chose quand on dit qu’on est croyant dans une révélation religieuse. Un bon chrétien se développe une théologie. La théologie, c’est la foi qui cherche son intelligence. Il y a tout un travail rationnel à l’intérieur même de la foi. On est dans le même cercle.
Sdf.info – La philosophie, la science et la spiritualité peuvent-ils se rejoindre, donc?
J. P. – C’est ce que je développe dans le livre La chorégraphie divine. Quand vous poussez la physique et l’astrophysique jusqu’au bout, vous êtes proche de cette vision de l’univers que j’ai appelée la chorégraphie divine. Quand vous poussez la métaphysique classique, vous arrivez à cette même vision de l’univers. Puis quand vous poussez la mystique, vous arrivez à la même chose. Évidemment, c’est ma lecture. Et j’essaie de leur répondre : il y a trois grandes figures dans cette chorégraphie. Je reviens tout le temps à ma trinité qui régit tout l’univers : Énergie, ou action; Conscience, ou intelligence; et Union, ou amour. C’est vrai que les scientifiques parlent de la grande énergie. Ils parlent aussi d’une intelligence cosmique, de l’ordre, de la rationalité, de l’intelligibilité qui est dans le cosmos. Et enfin, les grandes forces cosmiques sont pour eux des forces de liaison. Les mystiques, eux, parlent d’énergie pure, de conscience et d’amour cosmiques. Chacun parle de l’univers à sa façon et chacun va jusqu’où il peut aller. Les mystiques disent que c’est Dieu; les philosophes ont une certaine vision de Dieu : le Dieu cosmique. Les savants l’appellent le Vide ou l’Intelligence. Le physicien Paul Davis n’adhère à aucune religion, mais il appelle Esprit de Dieu cette espèce d’intelligence qui met de l’ordre dans l’univers. Le biologiste Rupert Sheldrake parle, lui, de l’âme de la nature...
Sdf.info – Vous venez tout juste de publier un nouveau livre qui s’intitule Doigts de lumière.
J. P. – Oui, dans ce livre2, trois regards se rencontrent. Le regard d’un ami poète, le regard d’une amie peintre et le regard du philosophe. Je prends l’image du doigt3 qui pointe la lumière. On veut que les gens se tournent vers une certaine lumière des choses, des êtres. Mais la lumière est aussi dans le doigt. Autrement dit, la lumière est dans les signes qu’on utilise pour en parler : nos paroles, nos comportements. On essaie de la dévoiler. [...] C’est un livre sur le regard, sur la lumière qu’on essaie de faire se révéler dans les choses par nos moyens propres à chacun. Et c’est une invitation à approfondir son regard. Laisser l’œil de la conscience lumineuse en soi percer notre regard, nos gestes, nos paroles. Jeter notre réflecteur intérieur sur les signes qu’il y a autour de nous. Ce n’est pas un livre compliqué, mais c’est quand même un livre qui va loin. On invite les gens à essayer de lire la profondeur, l’autre dimension, le mystère de l’Être...