Vivre à l'encontre du « moutonnisme » ambiant
Ces deux artistes n’ont pas froid aux yeux.
Ces deux artistes n’ont pas froid aux yeux. Il y a 2 ans, munis d’une large expérience d’engagement social et de leur foi en un monde plus juste, ils ont transporté leurs pénates de l’autre côté de l’Atlantique. Un saut sans filet. « Partir avec un enfant, sans emploi qui nous attend, c’est tout un défi! » Ils se sont installés à Le Péage-de-Roussillon, près de Lyon, d’où ils ont voulu relever d’autres défis, ceux de découvrir comment on vit ailleurs et de poursuivre autrement leur engagement à bâtir un monde meilleur!
Le premier, Martin Ferron, est un musicien et compositeur de talent qui s’engage activement, par son art, à transformer le monde, à sa mesure. L’écologie, la justice sociale, l’avenir de l’humanité le préoccupent sans cesse. « Les bulbes que je sème, confie-t-il, pour transformer ce monde que j’aimerais plus beau, plus juste, équilibré, reconnaissant et signifiant, ce sont la musique, la parole responsable, les médias, le spectacle vivant, l’intervention citoyenne et la vie de famille. Je m’élève contre l’injustice, l’arrogance, le conformisme, l’indifférence, le mensonge, la pensée unique ou le "moutonnisme" ambiant. » Il arrive d’une tournée en Suisse où son dernier spectacle musical, Terre de l’aube, qui touche l’immigration et la transformation sociale, a roulé à plein. Il y a présenté aussi un autre projet, Religare, un « dialogue musical interculturel inspiré des spiritualités et des philosophies de l’humanité1 ». « Mes œuvres sont uniques, affirme-t-il, parce qu’elles abordent des enjeux sociaux et philosophiques tout en restant touchantes, "grand public" et divertissantes. Je crois à la diversité et au métissage. Mes œuvres sont donc métissées musicalement et mélangent des formes d’art ou de prises de parole. Souvent, je me fais dire : "On sort transformés par votre spectacle" ou "c’est positif, interpellant." »
Martin a fait ses premiers pas dans la vie à Trois-Rivières. Très tôt, il se passionne pour la musique. Jeune adulte sensible aux autres et préoccupé de justice sociale, il se lance dans un bac en travail social à l’UQÀM et, en même temps, entreprend des études en musique classique (orgue et piano) au Conservatoire de musique de Montréal. Par la suite, il complète un autre bac en musique pop à l’UQÀM. Il entame alors une carrière prometteuse de musicien et surtout d’auteur-compositeur. Aujourd’hui, à 43 ans, sa feuille de route est remarquable : « Comme je suis impliqué sur les plans social et environnemental, mes créations et ma pratique professionnelle concilient souvent art et intervention sociale. En vrac, depuis 23 ans, j’ai écrit des musiques pour des associations, créé des spectacles sur des thèmes d’actualité (par exemple, Porteurs d’ô!, une comédie musicale sur les enjeux autour de l’eau), aidé et dirigé plusieurs centaines de musiciens ou de comédiens en studio ou sur scène. [...] Et je n’ai jamais manqué de rien tout en restant pleinement moi-même! », souligne-t-il.
Comme dit Martin avec humour, « côté people, je suis marié à la Joconde et suis père de deux belles petites étoiles, Youkalie et Elaïa ». Cette Mona Lisa en question a vu le jour à Shawinigan-Sud et a pour nom Erika Leclerc-Marceau. Tous deux sont mariés depuis 10 ans. Et cette donna talentueuse fait plus qu’esquisser un sourire : elle fait dans le rire. En 1999, Erika termine ses études à l’École nationale de l’Humour et commence à faire des spectacles ici et là et à monter un spectacle solo. « L’humour, c’est souvent rire des autres, une voie que j’essaie d’éviter. » Puis, la même année, elle entreprend un bac en communication à l’UQÀM pour nourrir ses propos artistiques. « En 2003, j’ai présenté mon spectacle solo, La sœur du hamster. Parallèlement, j’ai fait du théâtre forum avec les ados, conçu des capsules sonores engagées pour l’ONF, écrit pour l’émission Prenez garde aux chiens (VOX) et joué dedans; j’ai fait 10 ans d’impro, dont 2 dans la LNI2. Et en 2006, je suis devenue maman. Yé! [...] Au printemps 2008, j’ai terminé mon bac (après 9 ans!), puis j’ai travaillé tout l’été à la salle des nouvelles radio de Radio-Canada, à Québec. En septembre, comme j’avais fait mon stage d’étude à Macadam Tribus (Première chaîne), je suis devenue chroniqueuse et reporter à l’émission... qui, un an après, est disparue. Je suis revenue à la pige. Martin, qui était en Suisse alors m’a proposé de tenter une expérience en France. Ça ne me rassurait pas, mais j’avais envie de sauter! »
Martin enchaîne : « Je rêvais de faire carrière en Europe depuis l’adolescence. En 2009, même si je déteste ces compétitions, j’ai gagné le Concours francophonie internationale de la musique d’utilité publique en Suisse. Le prix consistait en une bourse et une résidence de création de plusieurs mois en Suisse. À la fin du séjour, après quelques jours en montagne à méditer sur l’avenir, j’ai senti que la Vie et moi voulions faire le saut, c’est-à-dire vivre en Europe. Erika aussi, heureusement. Donner une seconde culture aux enfants, s’ouvrir à un pays riche de diversité et d’idées, être moi-même dans la peau d’un étranger (comme dans Terre de l’aube), suivre l’appel du large, avec confiance... »
Bien sûr, les premiers mois en France furent difficiles : « J’ai senti beaucoup de stress et d’insécurité, confie Erika, et, en même temps, un sentiment profond de me sentir vivante, d’apprendre au quotidien sur moi et les autres. [...] Le marché du travail est vraiment différent ici. Tout fonctionne par contacts, alors ça s’est fait lentement. J’ai eu un premier contrat de mise en scène avec des jeunes. J’ai tout donné! Résultat : l’an dernier, j’ai eu cinq contrats avec ce même employeur. J’ai monté un théâtre forum avec des ados, donné des ateliers d’impro au conservatoire et fait d’autres mises en scène. Après la naissance d’Elaïa, j’ai élaboré l’émission radio Microphone francophone, un magazine qui présente des idées positives, des gens en marche, des façons de penser et de faire autrement, plein d’espérance3. Avec Martin, j’ai tout fait : de la conception à la mise sur pied du réseau international de chroniqueurs en passant par le financement et le site Internet. Concrètement, j’anime l’émission, je m’occupe de son développement, et on se partage la recherche. Actuellement, en plus, je fais aussi des chroniques en lien avec Radio-Canada, je donne des ateliers de jeu dans les écoles et je monte un projet humoristique sur la conciliation travail-famille4. »
Avec autant de pain sur la planche, quel souffle anime donc ces artistes? « J’essaie d’être le plus utile possible, de donner par l’art, explique Martin. Je cherche également à adopter un discours universel, inclusif pour l’ensemble de la société et généreux, en résonance avec ce que j’ai compris de la vie et ce que j’aime. Je suis interpellé par les valeurs révolutionnaires de Jésus : amour fou, mise en commun, quête de vérité, amour des "étrangers", des femmes, des sans-voix, des pauvres, des différents, espérance, colère contre les marchands du Temple, pacifisme... Je crois que ce message, devant les défis actuels, doit être proposé sans prétention, sans gêne, au même titre que tous les "autres possibles". Dire qu’on est croyant au Québec, dans le milieu des arts, c’est passer pour un imbécile. En France, dans les débats ou le domaine de la culture, les valeurs des grandes sagesses de l’humanité ont leur place. La relation est adulte. [...] À mon avis, les croyants doivent s’insérer dans le dialogue avec l’humanité et l’ensemble de la création, et travailler à l’édification d’une éthique et de structures universelles de bonté, de justice, de beauté. » « Pour moi, conclut Erika, l’important, c’est d’être dans une démarche d’espérance, de croire... que ce soit en Dieu ou en l’humain. Comme communicatrice, ma foi est dans l’écoute réelle, dans le respect de l’autre, de son propos, dans le choix des sujets – donner une voix aux gens dans l’ombre, aux sans-voix, aux vraies étoiles (dirait Martin!) »