Soins et services d’urgence pour l’âme
Lorsque je me suis présenté aux locaux d’Écoute-Secours, une bonne nouvelle circulait depuis quelques jours parmi les bénévoles : l’approche sensible d’un écoutant avait permis à une personne, qui avait joint en dernier recours ce service d’écoute, d’exprimer son mal-être.
Lorsque je me suis présenté aux locaux d’Écoute-Secours, une bonne nouvelle circulait depuis quelques jours parmi les bénévoles : l’approche sensible d’un écoutant avait permis à une personne, qui avait joint en dernier recours ce service d’écoute, d’exprimer son mal-être. Décodant les signaux de détresse de l’appelant, la personne bénévole avait pu réagir avec doigté pour éviter le pire. Par la suite, après avoir localisé la provenance de l’appel, les services d’urgence du 9-1-1 avaient pu intervenir à temps pour éviter que la personne ne se suicide... Ainsi, la directrice d’Écoute-Secours, Mme Vivianne Barbeau, m’a-t-elle fait saisir d’entrée de jeu, par cet échange informel qui s’est instauré entre nous et une bénévole, la nécessité et la pertinence pour notre société de ce service d’écoute téléphonique pour personnes en difficulté...
Écoute-Secours, qui offre ses services 7 jours sur 7, et de 9 h à 23 h, à la grande région de Québec, n’est pas un centre d’écoute comme les autres : il se démarque par son approche ouverte à la dimension spirituelle des personnes. « On s’identifie comme un service d’écoute téléphonique psychospirituel, rapporte Mme Barbeau, parce la psychologie fait partie intégrante de l’être humain. De même, pour nous, la spiritualité rend compte du fait que chaque personne est en quête de sens dans la vie. Il ne s’agit pas uniquement de l’aspect religieux. En réalité, nous accueillons les personnes là où elles sont dans leur vécu. Nous ne les invitons pas à entrer dans le nôtre. »
Ce service d’écoute est né en 1977 grâce au soutien de quelques communautés religieuses. À l’époque, il portait le nom de Prière-Secours et se réclamait d’une approche plus confessionnelle qui répondait davantage au besoin du temps. Au fil des ans, le nom de Prière-Secours a représenté une difficulté pour plusieurs personnes et les bailleurs de fonds, de par son association trop grande à la religion. « Avec ce changement d’orientation, l’organisme n’a pas voulu restreindre son action aux personnes de religion catholique, explique Mme Barbeau, mais s’ouvrir à tous et accueillir l’être humain là où il est. C’est pourquoi le nom Écoute-Secours a été privilégié. » De cette manière, le service d’écoute a adopté une attitude de réelle ouverture à la quête de sens de tout individu : « Certains appelants qui connaissent nos services depuis les débuts nous demandent parfois de faire une prière avec eux. Nous leur disons alors : dites votre prière et moi je vais vous accompagner. Pour ne pas créer d’ambiguïté ou faire de propagande, on ne fait qu’accompagner la personne dans sa propre quête. Si elle ne fait pas mention de spiritualité, l’écoutant non plus ne le fera pas. »
Plus d’une cinquantaine de bénévoles offrent actuellement leur temps pour remplir les plages horaires d’écoute téléphonique prévues chaque jour. Aussi, tous les mois, chaque bénévole s’engage à être présent pour au moins 3 plages de 4 heures. Tous ces bénévoles ont répondu aux critères exigés pour devenir écoutant et passé avec succès une formation de plus de 45 heures à l’écoute passive et active, à la relation d’aide et à la spiritualité, et ont été suivis dans leurs interventions par des superviseurs chevronnés, avant d’acquérir une certaine autonomie en tant qu’écoutants. Un processus de 3 à 4 mois est donc nécessaire pour devenir un écoutant. Par surcroît, une formation continue leur est offerte aussi durant l’année. Car on ne s’improvise pas écoutant pour aider ceux qui font face à des revers de la vie et à la détresse...
À ce propos, parmi les situations difficiles vécues par les appelants, la solitude a la plus grande part. Mme Barbeau observe, de plus, une recrudescence de la détresse : « Les gens appellent beaucoup parce qu’ils sont aux prises avec l’insécurité matérielle, la perte d’un emploi, la maladie, le deuil, la violence conjugale, des problèmes familiaux ou des séparations. Devant la crise économique, plusieurs personnes cèdent à la panique, car elles se retrouvent devant rien. Beaucoup de jeunes se questionnent sur le sens de la vie. Plusieurs personnes âgées nous joignent pour des problèmes de succession, et des injustices qu’ils vivent dans leur famille. Enfin, on constate que de plus en plus de gens vivent des problèmes de santé mentale. Avec tout cela, on voit clairement la raison d’être d’un organisme comme le nôtre. »
À preuve, l’année passée, Écoute-Secours a reçu près de 51 000 appels. Sur ce nombre, le centre n’a pu répondre qu’à 7 000 appels seulement. « Souvent les gens appellent et la ligne est occupée. Alors, sur la deuxième ligne, ils peuvent au moins entendre un message d’encouragement... On pourrait avoir le triple de bénévoles. Ce ne sont pas les besoins qui manquent », précise Mme Barbeau. « Ici, tout fonctionnerait sur des roulettes en or si on n’avait pas le problème du financement. On parle de comité de relance, car nous sommes dans un grave état de survie. Il ne faudrait pas avoir à fermer les portes dans un an ou deux. Notre service d’écoute a pourtant un impact social très grand. Les personnes qui appellent ici ne se retrouvent pas au CLSC ou à l’urgence parce qu’elles ont été écoutées. Ces personnes ont besoin d’une présence chaleureuse au bout de la ligne. Ce n’est pas la petite pilule pour l’angoisse qui va régler leurs problèmes, mais quelqu’un qui peut les écouter, sans juger. »
En réalité, Écoute-Secours est une véritable soupape pour ceux qui font appel à ses services, toujours dans le respect de l’anonymat. « Merci de m’avoir écouté, comme ça m’a fait du bien », avouent-ils souvent aux écoutants, confie Mme Barbeau. Et les bénévoles qui offrent généreusement leur temps en retirent tout autant : « J’ai apporté de l’aide et juste de savoir que j’ai pu écouter quelqu’un, ça m’a fait du bien. Ma journée est faite. »
Bref, Écoute-Secours est « un lieu essentiel, de conclure la directrice, avec toute sa conviction. Car qui n’a pas eu besoin d’écoute au moins une fois dans sa vie? Si ces services ne sont plus là, vers qui les gens vont-ils se tourner? L’hôpital? Ce n’est pas là qu’on est écouté... Les médecins sont souvent débordés de travail. Pourtant, on sait bien que sur le plan médical, l’écoute favorise la diminution du stress et l’ouverture à la guérison. Ne pas offrir ces services d’écoute, c’est faire mourir les personnes à petit feu. Nous, on offre des soins de l’âme. Nous sommes l’hôpital, mieux : l’Hôtel-Dieu de l’âme. À l’hôpital, on ne soigne que la maladie. Mais si la personne est malade, c’est aussi parce qu’elle a un mal intérieur. Les deux ne se dissocient pas... »