Assumer les distances
Une conjoncture ecclésiale inéditeInternet révolutionne la conception de l’espace.
Une conjoncture ecclésiale inédite
Internet révolutionne la conception de l’espace. Plus besoin de transporter un journal papier, de se déplacer pour une réunion. Où que l’on soit et à l’heure de son choix, il est maintenant possible de recevoir un journal instantanément ou de se réunir en téléconférence ou par clavardage. Le Village global abolit l’espace.
Dans l’Église d’aujourd’hui, le mouvement s’inverse. Avant la Révolution tranquille et Vatican II, l’Église catholique québécoise semble échapper à toute distance. Elle se fond avec l’État et règne sur la culture et chez les fidèles. C’est le triomphe d’un modèle pyramidal où le sens vient d’en haut et où la base n’a d’autre choix que de se conformer.
Les années soixante voient apparaître la figure du « distant » qu’on espère toujours pouvoir récupérer. Mais le phénomène explose : abandon de la pratique religieuse par la grande majorité et différenciation des sensibilités chez ceux et celles qui continuent à vivre de leur foi. Impressions de malaise, de déséquilibre entre les uns et les autres. Par exemple, entre les pratiques soutenues par l’appareil ou la tradition et celles, minoritaires, dont on ignore plus ou moins la créativité et les audaces. Le projet de Sentiers de foi se situe dans cette conjoncture. Il s’agit de situer les parties, d’en saisir les relations, en d’autres mots d’assumer les distances à la lumière de l’Évangile.
Un expert en gestion de distances
Le père Irénée Beaubien, fondateur de Sentiers de foi (1984), a consacré sa vie à se frotter aux différentes formes de distance en Église. Alors que le catholicisme québécois s’isolait dans sa bulle (on refoulait encore les immigrants non catholiques, même francophones, vers les protestants), il fonde le Catholic Inquiry Forum/Forum catholique (1952) qui voulait présenter le catholicisme aux gens qui ne partageaient pas cette foi. Ses contacts avec des pasteurs protestants l’amènent ensuite à fonder le Centre canadien d’œcuménisme (1963) et à proposer une approche plus égalitaire entre les différentes confessions. Un exemple : alors que le Vatican a l’habitude d’afficher de grands pavillons aux expositions universelles, il persuade Paul VI de participer, au même titre que les autres confessions chrétiennes, au Pavillon œcuménique d’Expo 67. Puis, en 1984, il fonde Sentiers de foi, un organisme qui veut « accueillir et écouter inconditionnellement » les personnes qui cheminent dans la foi comme en des sentiers. Un modèle qui se distingue de ce qu’on appelle alors la direction de conscience.
Le père Beaubien sait aussi gérer la distance intergénérationnelle. À 80 ans, il quitte l’administration de Sentiers de foi (1995). L’organisme renoncera alors au dialogue entre individus et se réorientera, après mûres réflexions, vers la publication du journal. Irénée Beaubien respecte l’autonomie de la relève tout en lui accordant son soutien. Alors qu’on l’interroge à propos d’un article qui est fort loin de son style, il répond : « Je sais que, vous aussi, vous aimez l’Église. »
Une méthode particulière
La réorientation de Sentiers de foi s’est faite à partir de deux enquêtes auprès d’organismes chrétiens – la première réalisée par Mme Louise Deschamps, alors directrice de Sentiers de foi; la deuxième pour le compte de la Fondation Béati, à laquelle a collaboré M. Pierre Lalonde, membre du conseil d’administration –, d’une analyse de la situation de l’Église et d’une réflexion sur la notion de sentiers, en référence à l’Évangile. Une dialectique que chaque numéro tente de reprendre avec ses différentes rubriques et qui se distingue d’un modèle où la base n’a aucune influence.
Une attitude évangélique
C’est dans l’action même de Jésus qu’on peut enraciner la relativisation d’un modèle autoritaire, centralisateur et monolithique. Alors que ses disciples s’inquiètent de ce que certains guérissent en son nom sans faire partie des initiés, Jésus déclare : « Qui n’est pas contre nous est avec nous. » (Mc 9, 38-41). À une femme qui lui demande s’il faut adorer Dieu sur la montagne de Samarie ou à Jérusalem, il répond que « l’heure vient où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité » (Jn 18, 23). Enfin, c’est à l’extérieur de sa communauté religieuse, hors du cercle de ses disciples, chez un centurion, qu’il trouve le plus bel exemple de foi (Mt 8, 10).
Analyser les relations de parcours individuels et collectifs plus ou moins minoritaires avec les discours dominants, offrir de créer des liens à ceux et celles qui se sentent isolés, voilà pour Sentiers de foi une manière inédite de célébrer la vitalité et la complexité du mystère chrétien, de la liberté du Vent.