La liberté, fruit du travail humain?
La liturgie catholique prend soin de préciser que ce qui symbolise l’ultime témoignage de libération pour les chrétiennes et les chrétiens est le fruit de la terre et du travail humain.
La liturgie catholique prend soin de préciser que ce qui symbolise l’ultime témoignage de libération pour les chrétiennes et les chrétiens est le fruit de la terre et du travail humain. Ces aliments modestes, offerts depuis des générations comme jeu et enjeu de mémoire, ne sont pas d’origine divine ou céleste, ne descendent pas de mythes ou de légendes. Ils ne sont que le fruit du travail humain et don de la terre par lesquels est rappelée la libération de l’esclavage du peuple hébreu et signifié le possible dépassement de nos impasses individuelles et collectives.
On ne nous parle pas des conditions dans lesquelles sont fabriqués ce pain et ce vin. Cependant, on peut deviner que le travail du boulanger et du vignoble prend une dimension toute singulière lorsque que la vocation de leur produit est révélée. N’est-ce pas là, précisément, que se tient la crise du travail que nous connaissons : dans l’absence d’horizon causée par l’assimilation du signifié et du signifiant.
Crise (spirituelle) du travail
La détresse psychologique au travail aurait doublé au cours des dernières années. Au banc des accusés, la surcharge de travail certes, mais aussi le manque de reconnaissance, la confrontation entre le désir de réussir, le manque de temps et le sentiment d’impuissance (Le Soleil, 21 avril 2006). En somme, le grand défi de la conciliation du travail et… de la vie. Une conciliation qui ne nous renvoie pas tant à une question d’horaire ou de gestion du temps, mais à l’accord entre nos désirs fondamentaux, les promesses d’une société et le pays réel.
Bien au-delà de la satisfaction des besoins élémentaires, le travail permet l’inscription sociale qui, à son tour, assure la structuration de l’identité et donne sens à l’aventure humaine. Dans les sociétés traditionnelles, la profession et l’identité étaient héritées. Le fils du charpentier – même à Nazareth – n’avait d’autres ambitions que d’être à la hauteur de son héritage. Or la modernité, par la démocratisation de l’éducation et le libéralisme économique, offre certaines perspectives de mobilité sociale. S’il devient possible pour les individus d’échapper au déterminisme culturel, il y a tout de même un prix à payer. Ce prix, la crise du travail en donne la mesure. Libéré du joug de la tradition, l’individu doit son succès à ses propres performances. Il devient soumis à lui-même, à cet Individu abstrait (Guy Bajoit) qui lui impose un certain nombre d’injonctions normatives, notamment l’épanouissement personnel et la réalisation de soi. Le travail apparaît comme le lieu de cette réalisation. Il est le salut terrestre. Il n’est plus évalué en regard de ce qu’il apporte à la collectivité. Il est devenu le moyen pour lequel il n’y a plus de fin autre que celle de contenter l’Individu. Ainsi, l’esclave n’est plus sous l’autorité du maître, mais sous la tutelle de l’angoisse liée à la raréfaction des repères et au risque constant d’échapper à sa propre vie. Le travail a perdu de sa perspective. Est disparu l’horizon dans lequel il pouvait s’inscrire; absence de transcendance qui pourrait donner à l’individu le sentiment de participer à un projet plus grand que lui.
Pour une spiritualité du travail
Le christianisme nous invite à considérer le travail comme une participation à la Création (Gaudium et spes) et comme une œuvre de libération. En ce sens, tout en reconnaissant le caractère innovateur des pratiques liées à la spiritualité du travail, il faut souhaiter que ces dernières s’accompagnent d’une réflexion fondamentale. Est-il suffisant que la spiritualité en milieu de travail permettent à des individus de trouver « la sérénité permettant de faire face aux clients grognons » comme le rapportait le journal Jobboom dans un dossier sur « Dieu à l’ouvrage »? Ne faut-il pas demeurer critique face aux risques réels d’une instrumentalisation de la spiritualité au profit de l’entreprise? À quoi assistons-nous vraiment : à l’intrusion de Dieu dans les milieux de travail, comme le prétendent certains chroniqueurs, ou à l’invasion du travail dans les moindres recoins de la vie privée, spiritualité comprise? Le travail est-il œuvre de création?