Attendre ce qui est déjà là
Quelle place accorde-t-on, tant dans nos sociétés et que dans nos traditions religieuses, à l’expérience de donner la vie? Nancy Couture, mère de Félix (2 ans et demi) et permanente au Carrefour de pastorale en monde ouvrier, de Québec, nous a généreusement partagé ses réflexions et découvertes.
Quelle place accorde-t-on, tant dans nos sociétés et que dans nos traditions religieuses, à l’expérience de donner la vie? Nancy Couture, mère de Félix (2 ans et demi) et permanente au Carrefour de pastorale en monde ouvrier, de Québec, nous a généreusement partagé ses réflexions et découvertes.
La maternité à contretemps
« On vit dans une société où l’attente et la préparation ne sont pas reconnues, dit d’entrée de jeu Nancy Couture. Porter un enfant et le mettre au monde ne créent plus nécessairement de sens dans une société où tout va vite. C’est long neuf mois, alors que si tu veux du crédit, tu vas au guichet; si tu veux une robe, tu ne la fais pas, tu vas l’acheter. On ne prend plus le temps de faire les choses, de les penser, de les créer. »
Or, c’est dans l’attente, qui débute avant même de concevoir l’enfant, que Nancy considère être devenue mère. Pour elle, ce temps du « déjà-là et pas encore » n’a rien de passif. Il est fait d’étapes : inquiétudes pour l’enfant, inquiétudes d’être parents, transformations physiques, questions éthiques en cas de maladie ou d’infirmités diagnostiquées, etc. Des étapes et des questionnements qui ont mené à autant d’actes de foi. « Il ne s’agit pas de la pensée magique de croire que tout va être correct, mais de la confiance que ce qui va arriver, on va être capable de le vivre et de l’accueillir. »
Mère porteuse d’humanité
« J’ai vécu l’attente de Félix comme un temps de grande intimité », affirme Nancy. Une intimité qui fut aussi une occasion d’intériorisation. « Il y a un sentiment de plénitude difficile à expliquer. Tu deviens dépositaire et responsable de la vie de quelqu’un d’autre et en même temps tu sais qu’il y a un bout qui ne t’appartient pas, que tu dois faire confiance en ta capacité de porter cette vie-là. » Et elle nommera cette expérience comme celle d’un rapport à la transcendance : « Ce n’était pas encore un être viable et déjà je sentais qu’il avait une âme, qu’il y avait un contact avec une autre dimension de la vie, avec la transcendance. Je n’avais pas d’autre choix que de m’abandonner, ce qui m’amenait à méditer beaucoup, à me donner les moyens de faire confiance. »
« Une des choses qui est importante dans ma foi, confie aussi la travailleuse sociale de 32 ans, c’est que je crois que nous portons en nous l’héritage de l’humanité et que nous sommes forts de cette héritage. » Et l’attente d’un enfant viendra renchausser cette conviction. Image forte s’il en est une, Nancy a rêvé à quelques reprises à ses propres grands-mères qui accompagnaient son enfant. « Parce que je porte cet enfant, je suis en train de lui transmettre à mon tour cet héritage. »
Le silence d’une tradition
Nancy avoue avoir trouvé peu de références utiles dans le christianisme pour vivre cette expérience. Même le recours à la figure de Marie se voit limité par l’insistance de la tradition sur la conception virginale. En fait, l’expérience spirituelle de la maternité semble confinée à des sentiers peu balisés. D’une part, l’Église est silencieuse – ou pudique – lorsqu’il est question de conception et de maternité, comme si tout se passait au baptême. D’autre part, la société séculière, dans la préparation et le support offerts aux parents, se refuse à considérer les enjeux spirituels.
Pourtant, Nancy insiste pour présenter la maternité comme une expérience de passage : « Comme pour toutes les étapes de la vie fortement médicalisées, il faut se réapproprier ces moments, les vivres comme des temps de préparation à autre chose parce qu’autrement ça perd tout son sens. »
L’attente est donc un temps d’appropriation et de préparation ayant pour centre de questionnement « l’intime relation entre la vie, la mort, la naissance, la fragilité, la souffrance ». Il n’y a rien dans ce récit qui nous permette d’associer l’attente à une perte de temps. Au contraire, il y a tout pour nous rappeler que l’attente est nécessaire à la vie.