L’évêque des pauvres
On lui a attribué plusieurs noms : le cyberévêque, l’évêque des exclus, l’évêque des sables.
On lui a attribué plusieurs noms : le cyberévêque, l’évêque des exclus, l’évêque des sables... De tous ces titres, Jacques Gaillot dit préférer « évêque des pauvres ». « Si c’est vrai, c’est très bien... », ajoute-t-il avec hésitation. Pour celui qui vit aujourd’hui avec les sans-papier, les sans-domicile et les sans-reconnaissance, la solidarité envers les plus mal pris n’est pas qu’une exigence morale, c’est le lieu de la révélation : « [Dieu] nous précède là où des hommes et des femmes sont en danger. C’est là qu’il faut aller en priorité. Jésus a dit : j’ai été envoyé annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Pas aux riches, pas à tout le monde, il dit aux pauvres. Bon, c’est le choix de Dieu! Il commence par là. » Et c’est là que commencent les journées de Jacques Gaillot depuis qu’on lui a retiré la charge épiscopale du diocèse d’Évreux, en France, en raison de ses prises de positions dérangeantes.
Or, avec les pauvres, l’Église n’y est pas, constate Mgr Gaillot. Elle favorise une « pastorale de l’entretien » et se contente d’avoir quelques bons ouvriers là où ça compte à ses yeux. « Il ne suffit pas que l’on ait des gens merveilleux dans les prisons, à l’hôpital psychiatrique, avec les handicapés, avec les gens qui ont le sida, et de dire : bien, ces chrétiens qui sont auprès d’eux, au fond, ils sauvent l’honneur de l’Église; ils donnent bonne conscience à l’Église; l’Église peut dormir tranquille. » Pour l’évêque de Partenia, l’engagement de ces chrétiens de la marge ne « retentit pas sur le fonctionnement de l’institution; on est bien content qu’ils soient là, mais ce qu’ils font ne crée pas de chocs en retour », n’interpelle pas la manière de vivre en Église et « ne provoque pas de changements ». Et si l’on ose « commencer par les pauvres », comme l’ont fait plusieurs fondateurs d’ordres religieux, on n’y reste pas « parce que ce n’est pas confortable ».
Pour durer dans l’inconfort de cet engagement, Jacques Gaillot mise sur l’amitié et la solidarité qui se développent au fil des luttes ainsi que sur les petites et grandes victoires. « Je rencontre un certain nombre de gens qui s’en sont sortis, dit-il, qui ont des papiers, qui sont mariés, qui ont un travail. Ils sont des citoyens à part entière, ils sont heureux... enfin, c’est un bonheur de les voir heureux. » Des plus pauvres, il a appris à « vivre le moment présent ». Se méfiant du lendemain, « ils font souvent la fête, partageant de petites choses. […] Ils m’ont dit un jour : quand la vie est dure, il faut se réjouir! On ne peut pas lutter tout le temps, il faut faire la fête... »
Ainsi, on ne se surprend pas que le Jugement dernier soit un récit signifiant pour celui qui vit avec ceux qui ont faim, qui ont soif, qui sont étrangers, nus, malades et en prison. « Moi, à la fin de ma vie, on ne me demandera pas combien j’ai célébré de mariages, de messes ou combien de pèlerinages j’ai fait. On me dira qu’est-ce que tu as fait pour l’étranger, le sans-papier, pour celui qui avait faim. »
