Gérald Linteau : la liberté d’être attentif à la vie
À la crise du langage religieux et au fossé entre le monde et l’Église, Gérald Linteau propose une solution choquante de simplicité : se mettre à l’écoute de la vie.
À la crise du langage religieux et au fossé entre le monde et l’Église, Gérald Linteau propose une solution choquante de simplicité : se mettre à l’écoute de la vie. « L’attention à la vie et l’honorer dans toutes ses réalités », voilà ce que lui ont appris ses 30 ans à l’animation des mouvements d’action catholique. « Dieu, on s’en occupe trop; il est tout-puissant, il est éternel, laissons-le tranquille, dit sans détour le prêtre modérateur de la paroisse Sainte-Anne de Ville Saguenay, il s’est incarné, c’est de ça qu’il [doit] être question! » Qu’est-ce que l’Église attend alors? D’où viennent les nombreuses hésitations? Par son parcours, Gérald Linteau nous rappelle que de se mettre à l’écoute de la vie implique un acte de foi plus exigeant que l’adoration tranquille et plus déstabilisant que le ronron des célébrations soumises au Prions en Église.
Une pédagogie de la vie
Ce prêtre du diocèse de Chicoutimi est reconnu pour son audace et sa créativité. Novateur? « Moi je me trouve très traditionnel, c’est juste que je procède autrement. » Dès ses années de formation, alors déjà rompu au « voir-juger-agir », le jeune séminariste conteste la « théologie qui venait d’en haut » préférant « la vie comme premier élément de création ». De ses études qu’il poursuit pendant les travaux du concile Vatican II, il retient non seulement les développements théologiques et ecclésiologiques, mais la possibilité même de tenir des débats en Église et d’avoir des opinions divergentes. Après quelques années en enseignement, l’évêque accepte que le jeune prêtre qu’il est se consacre à l’animation des mouvements d’action catholique où il développera une réelle « pédagogie de la vie » qui sera pour lui déterminante : « Tout le reste a suivi : une théologie plus près de la vie, une ecclésiologie plus près de la vie », raconte-t-il. Il échappe ainsi au cadre paroissial pendant de nombreuses années. « C’était la liberté d’un travail hors paroisse qui a permis d’avoir des expériences proches des gens » reconnaît M. Linteau.
Cette liberté d’être pleinement attentif à la vie a permis l’émergence de nouvelles façons de vivre les rituels et la liturgie. « Dans un baptême, par exemple, je vais beaucoup plus insister sur toute l’expérience de la naissance; la narration, le récit, faire raconter l’expérience, c’est important pour moi », affirme-t-il. De cette écoute de l’expérience naît inévitablement un nouveau langage et une nouvelle manière de vivre les célébrations : « Après ça, tu ne parles plus pareil, tu n’agis plus pareil, les sacrements, tu ne peux plus les faire pareil. »
Est-ce dire que le déficit du langage religieux en serait d’abord un d’attention? « À mon avis, en passant par le récit, par la narration, par le raconté, répond Gérald Linteau, les gens nous donnent le langage pour parler de Dieu. Ils nous prêtent les mots. Lors de funérailles, il faut aller au salon, ouvrir les oreilles, jaser avec les gens pour savoir quel est le mouvement, ce qui les travaille dans ce décès. » Et il ajoute : « À la limite, c’est comme à Emmaüs : quelqu’un qui marche avec les gens saisit les questions et, tranquillement, peut interpréter avec eux. » En bout de piste, ce n’est rien de moins qu’une position théologique : « On a peut-être moins à apporter Dieu partout que de le découvrir là où il est déjà présent », à voir davantage « ce que je peux être que ce que je peux proposer ».
Aujourd’hui, Gérald Linteau admet faire face à de sérieux défis. Il découvre la complexe réalité de la paroisse depuis le 11 septembre dernier. « On est pris dans le cadre des paroisses, on est une Église dans l’église qui n’est pas au cœur du monde. » Dénonçant la langue de bois et l’incapacité de développer des liturgies qui assument les préoccupations des gens, il s’empresse de préciser que « ce n’est pas la tradition qui cause problème » mais notre rapport à celle-ci lorsque l’on « entre dans la rubrique, dans la discipline ecclésiastique ».
Liberté, culture et tradition
« Je paie le prix d’être hors cadre », confie Gérald Linteau. En plus d’avoir à s’expliquer de temps à autre aux autorités, se laisser convertir par l’expérience des gens commande une certaine liberté intérieure, fruit de la formation, de la vie spirituelle, de la vie en communauté et aussi de la tradition. De toute évidence, Gérald Linteau ne se considère pas en marge de celle-ci. Au contraire, selon lui, il s’y trouve des « airs de fraîcheur » que l’on ne prend pas le temps de découvrir. On gagnerait à faire l’effort de l’explorer. « J’ai travaillé des encycliques des papes et on y trouve toute la richesse évangélique pour faire des choses prophétiques. » Malheureusement, « on a une Église paresseuse qui n’étudie pas, dénonce-t-il, qui ne débat pas. On se méfie de l’intellectualisme alors qu’en étant proche de la vie et réfléchi, on aurait tout ce qu’il faut pour trouver des sentiers nouveaux. »
Pour Gérald Linteau, on ne regarde peut-être pas dans la bonne direction en se souciant autant de Dieu. La foi n’implique pas tant de se tourner vers Dieu, mais vers l’humain. « Moi, je crois que lorsque l’on devient un humain complet et total, Dieu se trouve là. »