« We are bigger than Jesus »
« Ce soir vous allez assister à une messe.
« Ce soir vous allez assister à une messe. Une célébration de l’Esprit, universelle et multiculturelle. » Ces mots ouvrent Bigger than Jesus, une pièce de théâtre1 qui sera jouée au Périscope, à Québec, du 27 novembre au 8 décembre 20122.
Le 4 mars 1966, John Lennon déclarait : « We are bigger than Jesus », inspirant ainsi Miller et Brooks dans le choix du titre de la pièce3. Celle-ci « tourne » sur cinq continents depuis 2002. Bigger than Jesus a reçu trois Dora4 en 2005, dont celui du meilleur acteur : Rick Miller. Montréalais de naissance, demeurant à Toronto, collaborant régulièrement avec Robert Lepage et tenant des rôles dans les œuvres de ce dernier, Miller, peut-on dire, relève de nos racines canadiennes-françaises. À travers le canevas de la messe actuelle, Miller présente sa compréhension et sa recherche au sujet de Jésus. Dans ses propos du début, il affirme : « Ça fait quinze ans que je n’ai pas fréquenté la messe, mais je connais encore la liturgie par cœur. » ll est clair que sa pratique antérieure l’a marqué au point de s’intéresser de très près au phénomène Jésus, mais Miller a fait des choix au sein de la foi traditionnelle, choix qu’il exprime dès le début de la pièce : « Je ne crois pas que Jésus Christ soit littéralement le Fils de Dieu. Je ne crois pas que le christianisme soit la seule et unique voie de salut... »
La pièce est un mélange de ce que nous avons appris, de ce que nous croyons, de ce que nous entendons dire du christianisme et de l’existence de Jésus comme n’étant pas Fils de Dieu. Elle oscille sans cesse entre Jésus, le personnage ordinaire, et ce Jésus extraordinaire qu’on a enluminé d’une auréole déshumanisante, désincarnante. La précision dans l’interprétation des faits évangéliques nous permet de dire que Miller et Brooks ont certainement fouillé les analyses de textes bibliques et lu beaucoup sur Jésus.
Mi-parodique mi-sérieux, le ton de la pièce pourrait paraître méprisant. Mais une lecture attentive fait découvrir davantage une recherche que du dénigrement. Par exemple, elle donne accès à un Jésus humain qui choisit les Douze parmi des personnalités tirées de l’actualité: du cinéma, de la télévision ou du quotidien. Un Jésus profondément humain devant Pilate qui l’interroge sur la vérité : « Et moi, je ne dis rien. Rien. Je pense à ma mère qui va me voir souffrir une mort douloureuse. Je pense à mes disciples qui vont aussi souffrir mille morts douloureuses et à leurs parents qui vont souffrir à leur tour en les voyant mourir... » Un long passage qui affronte la question de la mort, inévitable.
Rick Miller nous introduit dans l’Église de la pensée rationnelle. Pour les besoins de la cause, il y devient Jésus qui réfléchit sur lui-même. Il décrira la crucifixion à la manière d’un médecin légiste. Il relèvera le fait que l’évangile de Jean est antisémite, puisqu’il fait tout pour rejeter la responsabilité de la mort de Jésus sur les Juifs, alors que la crucifixion est un châtiment romain.
Dans ce sentier qui est joué depuis 2002 sur les scènes internationales, Miller fait un long sermon, en anglais, dans une pièce annoncée en version française. Ce sermon se veut essentiellement une invitation : « Cuz in my Church, sermon time is WAKE-UP time! », annonce le preacher. Et ce qu’il veut faire lever, réveiller, c’est le Jésus en nous! Nous sortir de notre endormissement! Il parle aussi des miracles : « Le miracle, c’est la Vie. » Mais, dans cette vie, on peut – on doit? – aussi se demander : « Peut-être il n’y a pas de scénario. Peut-être que ce qui arrive n’est pas prédéterminé. Peut-être qu’on est libre d’agir comme on veut. Ça veut dire que chaque choix que l’on fait peut changer l’histoire. »
Miller et Brooks nous conduisent dans des sentiers qui offrent les parfums d’un christianisme en crise et en baisse de crédibilité. Ce qui n’empêche pas Alexandre Vigneault, journaliste à La Presse, de déclarer en juin 2010 : « Ce n’est pas une pièce qui essaie de détruire un mythe ou de s’en moquer, mais de comprendre. »