Cet homme, ce défricheur des temps modernes qui s'est toujours pleinement intégré dans les grands axes de la société comme de l’Église, a choisi d’investir des lieux et des modes pour le moins inusités pour leur époque.
Cet homme, ce défricheur des temps modernes qui s'est toujours pleinement intégré dans les grands axes de la société comme de l’Église, a choisi d’investir des lieux et des modes pour le moins inusités pour leur époque. À sa solide formation spirituelle jésuite d'alors, il allie un sens de l’organisation financière et de la communication qui le mènera à fonder plusieurs organismes dont la mission novatrice bousculera les pensées et les pratiques. C’est d’ailleurs à l’occasion d’une annonce de la fondation du Catholic Inquiry Forum
1 à la radio que j'ai été attiré, une première fois, par cette figure fascinante du père Irénée Beaubien.
1952. J’avais 13 ans. C’était bien avant le Concile Vatican II. Les catholiques vivent alors dans leur sentiment de supériorité – ils ont la vérité – et ignorent, quand ils ne méprisent pas, les autres confessions chrétiennes. Que venait faire ce prêtre qui ouvrait à celles-ci une porte non pour essayer de les convertir mais pour répondre à leurs éventuelles questions? Cette brèche dans l’isolement mutuel m’avait littéralement amené à la porte de la permanence du Catholic Inquiry Forum, rue de Bleury, à Montréal.
Quelques années plus tard, par une nouvelle campagne de presse, le père Beaubien nous apprend la fondation d’un mouvement œcuménique. Il ne s’agit plus simplement de se faire connaître, mais de reconnaître l’autre, de dialoguer avec lui. À la surprise de certains, et en dépit des réprobations, la pratique de foi se déplace. Malgré les différences, on se reconnaît en tant que chrétiens capables de prier ensemble. À l’époque, je nageais au YMCA, et c’est toujours avec une certaine émotion que je passais devant le Centre diocésain d'œcuménisme, situé sur la rue Drummond.
Dans la foulée de cet action œcuménique, le père Beaubien est même parvenu à modifier l’attitude plus ou moins paternaliste du Vatican en ce qui concerne sa participation aux grandes expositions mondiales ou universelles. En 1964, lors de la Foire internationale de New York
2, le pavillon du Vatican affichait toute sa richesse en y présentant la
Pietà de Michel-Ange tout en réservant un espace à l’œcuménisme. Ce qui marquait une dissymétrie certaine entre le catholicisme (supérieur par la richesse de ses trésors, par la générosité de son accueil) et les autres confessions chrétiennes. En préparation à l’Expo 67
3 de Montréal, le père Beaubien parvient à persuader le pape Paul VI d'assurer une présence beaucoup plus humble dans le Pavillon chrétien où la confession catholique romaine ne jouirait d’aucune supériorité.
En 1975, il fonde le
Centre canadien d'œcuménisme, issue de la fusion du Centre diocésain d'œcuménisme et de l'Office national d'œcuménisme. Ainsi, pendant plus d’un quart de siècle, le père Beaubien parcourt le Canada et le monde pour assurer la réalité du mouvement œcuménique, ce qui devait entraîner une réflexion sur des thèmes alors peu fréquentés comme le pluralisme ou l’interdisciplinarité.
En 1984, alors que les fidèles Québécois abandonnent progressivement une Église qui leur apparaît de moins en moins pertinente, une nouvelle conférence de presse mise en œuvre par le père Beaubien annonce la fondation de l'organisme Sentiers de foi. Il ose encore une fois situer son action dans un nouveau lieu, hors des cadres officiels – on pourrait dire « dans le champ » –, là où se posent encore une question, une parole ou une action de foi. Il ne s’agit pas de ramener les distants au conformisme. Le père insiste pour que l’on respecte le cheminement des consciences. Il s’agit alors d’accueillir et d’accompagner les hommes et les femmes qui sentent le besoin de partager leur démarche. Pendant longtemps, Sentiers de foi, qui eut alors pignon sur rue, accueille des personnes en entretien individuel. Le départ du Père Beaubien en 1995 est suivi d’un temps de réorientation et de recherche et, un jour, je suis invité à une assemblée générale de cet organisme. J’ai accepté d’y assister et j'y suis resté...
J'y suis resté avec un petit groupe de personnes qui a cherché, à sa hauteur, à reprendre les axes de la liberté qu’avait manifestée le géant Beaubien. Il n’était pratiquement plus possible d’accueillir les gens individuellement. Nous avons donc opté, alors, pour une démarche collective en utilisant un moyen de communication actuel : le webzine
Sentiersdefoi.info et sa vision éditoriale adaptée à la plateforme du Web (chroniques brèves, possibilités d’interaction, etc.). Pendant 11 ans, nous avons essayé de montrer que la foi en Jésus Christ ne se réduisait pas aux discours officiels de l’institution ecclésiale ni au discours social majoritaire qui, paradoxalement, l’un comme l’autre, en ont vite fait quelque chose d’aliénant et de non pertinent.
Au contraire, cette initiative, à l'image du parcours prophétique du père Beaubien, a pu manifester ces lieux de liberté et de vitalité pour qui s’intéressait à ces pratiques inédites, souvent issues de la base ou encore situées au-delà des frontières que l'institution ou le discours social majoritaire ont souvent dressées pour contenir la foi et le souffle de l'Esprit.
Les 100 ans du père Beaubien, que nous célébrons cette année, auront marqué autant d'années d'élan vers une ouverture à l'autre essentielle en ce monde où se manifeste une pluralité des expériences de foi, comme autant de visages de Dieu à découvrir pour le croyant et la croyante d'aujourd'hui.
