Le corps au risque de la non-puissance
Propos inédits que cette association libre de l’aventure corporelle et du mystère de l’eucharistie.
Propos inédits que cette association libre de l’aventure corporelle et du mystère de l’eucharistie. Authorship1 inhabituel d’un auteur médecin psychanalyste qui ouvre ses pages à son épouse amoureuse, la théologienne pratique, Lise Baroni Dansereau. Thématiques audacieuses. Exemples : lier la manducation du pain aux autres formes de plaisirs oraux; présentation du mystère de la souffrance de Jésus comme autre chose que la satisfaction d’une culpabilité; la question de l’eucharistie corps/femme. Écriture ouverte qui va de la mémoire de l’enfance de l’auteur à la problématique intergénérationelle, en passant par la poésie, la peinture et la vie de croyantes contemporaines et les théories psychanalytiques.
Cela change d’un discours majoritaire dont les auteurs semblent souvent sans corps. On y exalte l’eucharistie dans une métaphysique (la transsubstantiation) sans rapport apparent avec nos vies. On y reprend constamment un discours moralisateur où le corps apparaît en pièces ou en gestes détachés, plus ou moins dangereux ou interdits. Pour sa part, Dansereau repense le corps en terme de relation avec soi même et sa propre histoire, avec les autres et le monde.
Le passage de l’un à l’autre n’est pas facile. Nous sommes structurés par une axiologie2 verticale: il faut s’élever, viser l’Esprit. Valable, ce modèle a aussi ses effets pervers. À trop investir le haut, on nie la valeur du bas. Tout en esprit, tout en universel, on raisonne, on méprise ou on dénie la réalité des pulsions. Course, fuite vers le haut, sans écouter la logique des corps en oubliant ou en condamnant ce qui est derrière et ceux qui restent en arrière. Une certaine logique olympique: ce qui compte, c’est le podium. Tant pis si on se handicape pour y arriver. Tant pis pour ceux qui traînent en arrière. Ainsi, dans une certaine spiritualité, l’eucharistie, pourtant proposée comme nourriture, est réservée aux vertueux, aux gens bien pour qui la vie fait sens. Tant pis pour les autres. Ils n’ont qu’à se conformer.
On peut se demander jusqu’où ce modèle qui meuble l’imaginaire de tant de cultures s’accorde aux évangiles. Ceux-ci restent, certes, structurés verticalement. Le Père est au cieux, et Jésus fait un grand discours sur la montagne. Il ordonne à certains de se lever debout pour marcher. En même temps, il rejette la demande de ceux qui veulent se garantir une place à coté de lui et préfère la piécette de la pauvresse à l’offrande des gros donneurs. À ceux qui lui reprochent de fréquenter des gens de petites mœurs, il rétorque que c’est pour ceux qui ont du mal à vivre qu’il est venu.
Le Dieu de Jésus n’est pas prisonnier d’un Olympe, identifié à sa toute-puissance. Il renonce à celle-ci pour laisser son fils vivre sa vie d’humain. Celui-ci doit apprendre à téter, à vivre avec un corps sexué, même si la tradition majoritaire cherche à taire sa sexualité comme celle de sa mère3. Et cette vie humaine se termine au plus bas. Il est exhibé comme un déchet hors les murs de la cité.
Empêcher son enfant de vivre sa vie sous prétexte qu’on est assez fort pour lui épargner de souffrir, n’est-ce pas un forme d’inceste? Et n’est-ce pas en acceptant de vivre sans la puissance du Parent, dans cette forme d’abandon du Parent, que l’enfant échappe lui aussi à l’inceste et peut naître une deuxième fois et assumer sa vie. Ce serait là, si j’ai bien compris, que se joue le drame de communion proposé par la psychanalyse de Dansereau. On est en pleine vérité anthropologique, même si c’est plus complexe que le récit du père qui a besoin de la souffrance de son fils pour réparer son honneur offensé.
La vision de l’eucharistie que je retiens de Dansereau n’est pas celle d’une amitié particulière, d’une relation d’adoration mutuelle. « Je t’adore et tu me trouves bon. » C’est beaucoup plus ouvert. « Je reconnais mon besoin. J’ai faim de toi qui n’es pas névrotiquement narcissique, qui ne veux pas être traité comme une vedette, qui as connu l’abjection et qui s’identifie aux gens du manque. Et ainsi me nourrir de toi ne peut que me mener à communier, à partager mon pain avec les gens du manque. » Ce qui pourrait donner, si tout le monde s’y mettait, un nouveau monde. De quoi rendre grâce, une véritable Eucharistie! Tout ça donne à penser en ces jours qui viennent.