Pierre oublie la libération, Paul résiste
Trois hommes, deux femmes. Intervenants à la base ou cadres intermédiaires, ils ont donné leur vie à l’Église, souvent au service des démunis. L’institution ne semble plus toujours manifester la libération humaine révélée en Jésus le Christ.
Trois hommes, deux femmes. Intervenants à la base ou cadres intermédiaires, ils ont donné leur vie à l’Église, souvent au service des démunis. L’institution ne semble plus toujours manifester la libération humaine révélée en Jésus le Christ. Alors, fidèles à leur formation, voire à leur enseignement universitaire, ils articulent leur théologie de la dissidence, de la résistance et de la communion en Église, pour paraphraser le titre du livre qui réunit les cinq contributions1. Reprenons des éléments particuliers à chacun pour ensuite évoquer des thèmes communs.
Pour Lucien Lemieux, prêtre et historien, la dissidence traverse la vie de l’Église, de Pierre à Jean- Paul II. Une réalité féconde. Elle a permis au christianisme de se distinguer du judaïsme et de préciser ses dogmes fondamentaux. Parfois menacée, elle résiste. Par exemple, les réactions à Humanae vitae. À l’instar de nombreux épiscopats, le primat de l’Église canadienne d’alors déclarait qu’il s’agissait « d’un enseignement [...] sur lequel aucun doute [n’était] permis ». Les épiscopats allemand, autrichien et scandinave s’avérèrent plus nuancés2. Lemieux signale qu’en contexte ultramontain (romain, centralisateur) l’équilibre est rompu entre l’autorité des théologiens et celle de la hiérarchie, au profit de celle-ci.
Les militantes, féministes et théologiennes, Lise Baroni Dansereau et Yvonne Bergeron, cnd, offrent d’abord une interprétation politique de la dissidence. Il s’agit de la nécessaire tension entre l’institué, l’organisation que se donne une société pour survivre et ses membres, et les instituants, qui tentent toujours d’adapter les institutions à la dynamique de l’histoire. Elles fondent leur théologie dans une relecture de l’Écriture où les prophètes, comme Jésus et les communautés primitives, sont souvent amenés à résister aux autorités sociale et religieuse.
Alain Ambeault, csv, réfléchit à l’importance de la liberté de parole dans une communion vraie, respectueuse et créatrice. Il parle d’expérience. Président et porte-parole de la Conférence religieuse canadienne, il a voulu dialoguer avec l’Épiscopat canadien sur des problèmes des fidèles avec lesquels travaillent les religieux. Il a connu une fin de non-recevoir. Ambeault propose un modèle dynamique de la fidélité, processus qui tient compte de l’évolution biographique et culturelle.
D’entrée de jeu, enfin, Mario Veilleux s’identifie comme croyant québécois dans la mi-trentaine. Double dissidence : sociale, il se distancie d’un mouvement général de sécularisation; ecclésiale, il s’inscrit dans une Église locale. Veilleux rappelle que ce qui existe d’abord, ce sont des Églises locales. En ce sens, selon leur lieu, leur temps et leur culture, elles se trouvent toujours dans une espèce de dissidence mutuelle. Il analyse alors la conjoncture actuelle de l’Église d’ici : une Église, « en vacance [détachée] de sa société » dont tant d’institutions s’écroulent. Il reviendra donc aux croyants de « passer par un processus radical d’appropriation critique et réflexive de la signification de la tradition chrétienne aujourd’hui ». Reprenons des éléments communs : 1. Riche démarche d’analyse des différents auteurs qui, conscients des défis contemporains, recourent tour à tour aux sciences humaines, à l’Écriture et à la Tradition. 2. Les enjeux sont de taille. C’est lorsque, quelque part, l’institution opprime que dissidence et résistance s’imposent. Par solidarité humaine. Par respect de la Mission et de la réalité du Dieu Père révélées par Jésus le Christ. 3. On récuse un modèle pyramidal qui voudrait que l’existence des communautés locales découle d’une autorité centrale. On marque bien la part des différents acteurs dans la structuration de l’institution. Pour paraphraser le texte, les Églises locales préexistent à la primauté romaine. Ce qui ne constitue pas un rejet de l’autorité de Pierre. 4. La théologie qui s’élabore ici est d’ailleurs pleine de nuances. C’est ainsi qu’on accorde une grande place à l’éthique. On s’interroge sur les limites de la dissidence et de la résistance et on propose des éléments déontologiques. Le respect des personnes s’impose toujours, tout comme le fait que l’on défende non pas narcissiquement « son » Église mais plutôt celle de Jésus le Christ. 5. Dissidence et résistance ne sont pas réalités plus ou moins marginales ou aléatoires pour les hommes et les femmes qui élaborent cette théologie. Elles s’inscrivent au contraire au cœur des histoires biblique et ecclésiale comme des facteurs de correction et de créativité. La résistance de Paul à Pierre s’avère fondatrice : à Antioche Paul affronte Pierre qui, dit-il, s’est condamné lui-même en quittant, lors de l’arrivée de chrétiens de Jérusalem, la table des chrétiens non circoncis où il avait l’habitude de manger (Gal 2, 11-17 et Actes 15). Dissidence et résistance s’inscrivent même dans la vie sacramentelle individuelle et communautaire. C’est par la grâce du baptême et de la confirmation qu’on ose se lever et, ici, l’opposition est inséparable de l’espérance de construire la Communion.« La résistance comme opposition est inséparable de la résistance comme espérance. » Guy Coté, dans Dissidence..., p 53.