Désir de croire et de croître
D’après les propos qu’il échange avec Pierre Maisonneuve, la pratique du fils de Natashquan le distingue de la culture actuelle, en ce qu’il se défie de la mode, surtout qu’un monde sans balise, sans limites, lui semble un désert qui « ne conduit pas au bonheur ».
D’après les propos qu’il échange avec Pierre Maisonneuve, la pratique du fils de Natashquan le distingue de la culture actuelle, en ce qu’il se défie de la mode, surtout qu’un monde sans balise, sans limites, lui semble un désert qui « ne conduit pas au bonheur ». La foi de Vigneault s’articule autour de l’expérience du sacré, d’un monde différencié, où tout n’a pas la même valeur et ne commande pas les mêmes actions. Un monde de rituels où il faut, par exemple, en temps et lieu, savoir « s’endimancher », s’habiller avec soin pour célébrer. Ce qui ne veut pas dire que Vigneault s’inscrive sans réserve dans un univers religieux. On sent constamment, chez lui, le besoin de prendre une distance par rapport au dogme et à la morale. « Attention, je ne voudrais surtout pas me retrouver ou que mes enfants se retrouvent dans la camisole de force du péché que j’ai longtemps porté. »
À cet égard, il récuse l’unanimité religieuse d’hier et la supériorité qu’elle supposait. Lorsqu’un ami de son père, un anglican qui venait parfois prier avec lui à l’Église catholique, a invité celui-ci à sa propre église, le jeune Gilles fut choqué de voir que son père dut refuser l’invitation, sous l’injonction du curé. Pour Vigneault, et il y revient au moins deux fois, le sacré de l’autre exige le même respect que le sien. Selon un de ses amis médecins, il en va même de la survie physique de l’autre. Aussi, est-il réservé à l’égard de l’idée de mission, la conversion, pour lui, devant s’inscrire dans l’évolution spirituelle du sujet.
Sa pratique de foi s’inscrit largement dans la dévotion populaire : prières de son enfance, aumônes, lampions à l’église, même au temple d’une autre tradition (bouddhiste) et, enfin, soin particulier du rite de la mise en crèche du petit Jésus à Noël. Sa référence à l’Évangile évoque la compassion de Jésus. Cependant, sa formation lui permet aussi de prier les psaumes et d’autres hymnes en latin, et son sens de la liturgie l’amènera même, après Mozart et tant d’autres, à écrire sa propre messe. Tous ces gestes – sauf pour ces deux derniers qui relèvent d’une culture spécialisée – peuvent se partager dans la foi naïve des croyants et croyantes de son âge. Cependant, il les fonde dans une spiritualité pour le moins originale.
Alors que Maisonneuve le talonne tout au long de leurs échanges sur le caractère naïf de sa foi, Vigneault concède facilement qu’elle est constamment marquée par le doute. Cet homme se méfie des certitudes. Tout poète qu’il soit, il est quelqu’un de moderne qui s’intéresse, entre autres choses, à l’astronomie. Il est conscient qu’il est audacieux de se référer à Dieu quand on soupçonne les dimensions de l’espace-temps. Sa croyance se fait lucidement dans l’aléatoire et la solitude, comme cette fois où, perdu en forêt, il se mit à prier son défunt père sans garantie de réponse. D’ailleurs, si on en croit la mention qu’il en fait tant au début qu’à la fin de son propos, son initiation à la prière, il l’a vécue sous l’impulsion de son père. On est alors loin de l’intégration, plus ou moins livresque, du catéchisme ou d’un préparation aux sacrements. On est plutôt au cœur de l’existence de cette famille pauvre, dont le père amène son fils de 5 ans au pied de la crèche et l’incite à demander au petit Jésus d’apporter de la « gâgne » – de quoi gagner leur vie – à la famille Vigneault. Une véritable épiphanie! Une ordination! Voici que cet enfant, qui devait sans doute sentir la précarité de la situation familiale, se voit confier la tâche et, en même temps, le pouvoir d’influer, par sa prière à un autre petit, sur le sort des siens. Ce moment a quelque chose de sacramental : une confirmation identitaire en relation avec Jésus pour le salut ou la survie des siens. Il s’agit là d’un moment structurant dans la vie de Vigneault : la découverte de la confiance de son père en lui et en une Présence qui permet d’espérer déjouer l’impasse. Pour Vigneault, la prière ne répond pas à quelque impératif surmoïque1, et le croire se conjugue toujours à l’élan du croître.
Il y a là une spiritualité qu’il vaut la peine de creuser. Elle met en relief le versant humain de la foi, trop souvent ignoré au profit du théologique. Comme on a vite oublié que, dans le récit des miracles, devant l’admiration de sa puissance, Jésus proteste souvent que c’est la foi de celui ou celle qui a demandé qui fait merveille.