Éros et Bible
Des discours ecclésiaux ou sociaux majoritaires donnent facilement l’impression que, pour les laïcs, la relation à l’Église se réduit à l’assistance passive à une liturgie répétitive et à une doctrine contrôlant la sexualité.
Des discours ecclésiaux ou sociaux majoritaires donnent facilement l’impression que, pour les laïcs, la relation à l’Église se réduit à l’assistance passive à une liturgie répétitive et à une doctrine contrôlant la sexualité. L’expérience d’écriture et de mise en scène du Cantique des cantiques d’un groupe d'étudiants et d'étudiantes universitaires fait éclater ce modèle et montre que la Parole peut trouver, hors cadre, créativité et pertinence. Voici quelques caractéristiques de cette aventure.
Son caractère inclusif. La foi chrétienne n’était pas un critère de sélection pour le projet, mais les participantes et participants, de diverses origines culturelles, étaient avertis de sa nature religieuse. Ce qui se reflète sur le plan du scénario lui-même: les clients du café émergent de traditions culturelles diverses, ils sont de générations et de styles de vie et d’amour différents. Cela va d’une future religieuse à un jeune homosexuel, en passant par un serveur handicapé qui copie des extraits du Cantique à l’endos des additions, une manière originale d’annoncer la Parole.
L’audace du choix biblique. Rappelons que le Cantique des cantiques est rarement présent dans le discours ecclésial. Vous souvenez-vous d’en avoir jamais entendu parlé lors d’une homélie?
La passion, la charge érotique de ce texte rend mal à l’aise les courants piétistes et moralisateurs majoritaires dans le christianisme. Certaines confessions ont d’ailleurs refusé de l’inclure dans le canon biblique. Quand on le retient, les traductions se font pleines d’euphémismes pour parler des réalités sexuelles. De plus, on cantonne sa lecture au monde de la spiritualité. Les tensions de l’amour humain qu’il évoque ne seraient alors qu’une métaphore des difficultés de l’âme à s’unir à son Seigneur.
Sa liberté d’interprétation. La troupe du Centre étudiant Benoît-Lacroix tourne le dos à ce genre d’interprétation traditionnel. C’est dans un café, grâce à des espèces de fortune cookies1 bibliques que sont lus et proclamés les extraits du Cantique par différents personnages qui vivent les difficultés amoureuses d’aujourd’hui. L’amour, plus ou moins usé, d’un couple de parents autour de la cinquantaine. Les ferveurs et les peurs d’un couple de jouvenceaux. Des expériences limites: celle d’un handicapé qui, malgré sa solitude, se fait chantre de l’amour biblique; celle d’une jeune femme qui veut consacrer sa vie à Dieu dans notre culture postreligieuse; enfin, le paradoxe de ce jeune homosexuel qui assume son identité comme celle de « celui que son cœur aime », en récitant, en priant, les paroles mêmes du texte sacré.
Le caractère collectif de son écriture. Cette acculturation du drame du Cantique doit sans doute toute sa pertinence au fait que son scénario a été produit par plusieurs membres de la troupe. Ils n’ont pas agi seuls. Ils ont consulté un exégète, accepté une certaine supervision. Leur fidélité au drame du texte s’enracine cependant dans leur propre expérience actuelle.
Une prise de position rafraîchissante. Ce genre d’aggiornamento contraste avec le discours moral majoritaire dans l’Église. Un discours abstrait, universel, où tout semble éternellement fixé par la nature. Ce propos existentiel nous libère, par exemple, des problématiques cul-de-sac de certains évêques et cardinaux qui, tout en protestant du droit au respect des personnes homosexuelles, ne peuvent que poser un diagnostic stigmatisant de « contre nature » sur leur condition. On se retrouve dans la perspective ouverte d’autres confessions chrétiennes, voire du pape François, qui refuse de juger et donne priorité à l’accueil des personnes.
Son anthropologie ouverte. En conclusion de l’entrevue que nous avons eue avec deux membres de la troupe, ceux-ci déclaraient spontanément que la grande caractéristique de leurs personnages étaient d’être en évolution. On est loin du fixisme des tenants de la théorie de l’identité catholique que veulent imposer certains évêques.
Heureusement, le mystère de l’Église se vit dans la pluralité, et qui sait chercher peut trouver des relations à la foi en Jésus le Christ qui offrent une vitalité et un sens tout autre que le modèle monolithique porté par l’opinion et souvent produit plus ou moins consciemment par l’institution2.