Nos enfants différents
Madame Ludia Zama, mère d’un grand garçon autiste, a fondé, en 2002, le centre Didache dans le quartier montréalais de Rosemont.
Madame Ludia Zama, mère d’un grand garçon autiste, a fondé, en 2002, le centre Didache dans le quartier montréalais de Rosemont. Pourquoi appeler « Didache » ce centre qui offre des services d’intégration des personnes autistes dans la société? Eh bien, tout simplement parce que c’est comme cela que « Ludia » sonne dans la bouche de son fils! Après, Mme Zama a appris que Didache ressemble drôlement au mot grec didachè, signe de bon augure.
Fervente chrétienne et débordante d’idées, Mme Zama a eu un déclic en voyant ses enfants non atteints du syndrome vivre leur première communion : son fils autiste ne pourrait-il pas recevoir ce sacrement, lui aussi? Elle présenta ce projet de catéchèse bien spécial à l’agente de pastorale Carole Golding, de la paroisse Saint-Jean-Berchmans, qui accepta tout de suite; le curé de la paroisse, le père Michaud, offrit le même accueil enthousiaste à l’aventure, unique au monde pour ce que l’on en sait.
De là, Mme Golding a bâti de toutes pièces un parcours d’un an prévoyant des rencontres animées par elle toutes les deux semaines. Cinq enfants âgés de 12 à 20 ans, accompagnés de leurs parents, y ont pris part en 2003-2004.
Mais comment faire cheminer vers l’Eucharistie des autistes qui, pour certains, ne communiquent presque pas? D’abord, l’agente de pastorale expérimentée a conçu un schéma d’atelier qu’elle a repris chaque fois : accueil, chant, prière, parole de Dieu, retour sur l’enfant par le moyen d’un bricolage. Chaque rencontre avait pour thème un récit tiré de la Bible, qui était raconté sous trois formes : d’abord, l’animatrice le disait en ses mots, puis lisait le passage biblique lui-même, pour qu’ensuite les enfants reproduisent l’histoire en apposant sur un grand tableau les figurines des personnages : Jésus, Zachée... Pour compléter cette appropriation, les enfants se dessinaient ou se reproduisaient en utilisant le médium de la pâte à modeler, par exemple dans des contextes apparentés à l’histoire biblique du jour : qui sont mes amis à moi? Avec qui est-ce que je partage des repas? L’important était qu’ils repartent avec une compréhension personnelle du message chrétien et que même ceux qui ne parlent pas arrivent à s’exprimer sur leur foi par ce biais créatif. La symbolique et le visuel étaient très explorés : les jeunes ont visité leur église, lieu qui les calme, et touché les objets sacrés.
La première communion proprement dite s’est déroulée lors d’une messe dominicale, avec toute la communauté à laquelle appartiennent ces enfants. Eux qui ne perdent jamais leur émerveillement d’entrer dans l’église, ils ont bien fait cela! Il a cependant fallu leur permettre d’apprivoiser le pain eucharistique au préalable. La première fois qu’ils ont reçu l’hostie, un ami s’est mis à la découper en petits morceaux, avec beaucoup de curiosité, pour ensuite tout manger, donnant à ses pairs l’idée de faire de même. Cela a pris cinq « pratiques » pour que les enfants apportent à leur bouche la communion sans la découper.
Les apprentissages ont aussi été moteurs et sociaux : un enfant a appris à se nourrir et à boire avec une paille durant ces rencontres. Dans une autre paroisse, un enfant peu enclin aux contacts physiques est naturellement allé s’asseoir sur les genoux de l’animatrice lorsqu’elle leur faisait le récit de Jésus laissant venir à lui les enfants. Voilà d’émouvants progrès.
Des questions théologiques ont certes émergé de ce parcours. Comment peut-on justifier de donner la première communion à ces enfants baptisés qui n’ont pas vécu le sacrement du pardon? Pour les gens concernés, le pardon a été pris pour acquis sans ambages, ces enfants étant dépourvus d’intentions malicieuses. Ensuite, canoniquement, quelle condition fondamentale valide l’Eucharistie? Mme Golding a fait des recherches pour découvrir qu’il faut simplement que le communiant distingue que ce pain n’est pas le pain ordinaire, et les autistes accompagnés établissent cette différence sans problème.
À clef, ces jeunes catholiques font maintenant pleinement partie de la communauté chrétienne. Ils assistent à la messe avec leurs parents et communient. Aussi, ce projet en a stimulé d’autres. Lise Dubé-Demers, présidente du centre Didache et agente de pastorale à Montréal-Nord, a repris la démarche de Mme Golding pour la faire vivre dans sa paroisse. On lui a récemment demandé d’accompagner des enfants vers la confirmation, et elle a construit une catéchèse autour de ce sacrement somme toute plus abstrait. Là, c’est la découverte de la communauté, de la grande Église qui est au cœur des ateliers.
Ces initiatives sont d’autant plus louables que l’Église semble totalement oublier de recevoir ces enfants qui comprennent différemment – quand elle ne les refuse carrément pas, chose qui arrive. Pourtant, ils profitent tant de l’accueil évangélique!