Des sentiers d'espérance
La foi des chrétiens assume que le salut est donné au monde par l’incarnation, la mort et la résurrection du Christ.
La foi des chrétiens assume que le salut est donné au monde par l’incarnation, la mort et la résurrection du Christ. Elle engendre alors moins un privilège qu’une responsabilité : reconnaître dans le monde les signes de ce don. Lire dans l’histoire humaine, le récit de Dieu1. Pour cela, le chrétien doit « apprendre à mieux voir comment Celui qui précède ses disciples en Galilée, première terre missionnaire au lendemain de la résurrection(Mc 16,7), continue à les devancer partout où ils se rendent dans l’espace et le temps2 ». Il n’y a plus de « terre sainte » ni de peuple pouvant se prévaloir d’une élection aux dépens des autres. Toute culture peut porter des germes de sainteté.
Certes, le paradoxe est parfois difficile à supporter. La foi privilégie-t-elle les ors des traditions, malgré quelques déviations scabreuses, ou les piétinements de la rue, au risque de la pollution et des coups? Les hommes et les femmes d’aujourd’hui ont peu d’accès aux sagesses traditionnelles. Ou bien elles ne leur ont pas été transmises ou, si elles l’ont été, c’est par bribes et sous forme d’anecdotes à ranger dans les placards d’après les fêtes, avec l’effigie du père Noël. Dans la vie quotidienne domine plutôt la conscience de la précarité et de la vulnérabilité, conscience désormais surchargée par le sentiment collectif des impasses économiques, écologiques, démographiques, climatiques, techniques. Avec en prime – déprime – l’impuissance face aux catastrophes appréhendées.
Que reste-t-il alors? L’espérance? Mais de quoi s’agit-il? En stricte rationalité, l’espérance est un sentiment futile, même si on l’accroche à un « instinct de conservation », par ailleurs beaucoup plus aléatoire chez les humains que les autres espèces animales. Si nous tenons encore à la vie, n’est-ce pas que nous espérons à tort que l’avenir rachètera le passé? Mais si on délaisse un moment l’imaginaire matérialiste, l’espérance prend une tout autre dimension. Elle est relationnelle : non plus « espérer que » mais « espérer en » : en toi, en l’autre, en un Père qui s’éprouve, disait Maître Eckhart, comme la « naissance de Dieu dans l’âme », un Autre qui « n’est ni ceci, ni cela3 » et ne peut se penser à la manière d’une chose. L’espérance est con-fiance. Elle se réalise dans un rapport poétique au monde, rapport relevant de la capacité, propre aux humains, de produire au moins partiellement leurs conditions d’existence. Poète, Charles Péguy, fait de l’espérance un sujet d’étonnement pour Dieu lui-même : « Que ces pauvres enfants voient comme tout ça se passe et qu’ils croient que demain ça ira mieux... c’est bien la plus grande merveille de notre grâce... Je n’en reviens pas... Cette petite fille espérance qui n’a l’air de rien du tout. Immortelle... c’est elle, cette petite, qui entraîne tout4. »
C’est bien elle, en effet, qui se laisse reconnaître dans la rue, fait la queue aux soupes populaires, attend aux urgences des hôpitaux, cherche un peu de chaleur les matins d’hiver, explore les refuges potentiels, peuple les campements d’indignés, mobilise les manifestants en manque de justice... et fait sauter les petits enfants sur les genoux de leurs grands-parents. Elle traverse les générations et échappe aux calculs du raisonnable. Ses sentiers sont souvent rocailleux : des sentes, à vrai dire, voire des senteurs diffuses, arômes de salut que l’on suit quand aucune piste n’est tracée. Mais elle n’est jamais seule: elle éclot dans le regard de ceux qui la reconnaissent en même temps que dans les actes de ceux qui la vivent. Elle engendre la solidarité et accompagne les marcheuses et marcheurs, croyants et incroyants. L’humain ne peut s’en passer : elle fonde l’humanisation du monde.
N’est-ce pas là aussi ce que révèlent les sentiers de foi, dans leur pluralité?