Les pratiquants du terrain
France Labrie, permanente nationale de la JOC, commence par raconter cette anecdote : « Un jour, une amie est allée à un lave-auto de la JOC à Longueuil, puis s’est impliquée.
France Labrie, permanente nationale de la JOC, commence par raconter cette anecdote : « Un jour, une amie est allée à un lave-auto de la JOC à Longueuil, puis s’est impliquée. Comme j’étais à la fois étudiante en théâtre et travailleuse comme agente de sécurité, elle m’a demandé de faire une vidéo sur la JOC pour une soirée festive. » C’est exactement ce qui se faisait il y a soixante ans quand mon frère André faisait de la JOC à Joliette. Alors, comme maintenant, on ne demande pas d’abord à une ou un jeune de s’embarquer dans un mouvement, on lui demande un coup de main pour telle ou telle tâche, à sa mesure. Et ce n’est souvent que très progressivement que la jeune personne passe du coup de main occasionnel à une implication plus régulière, au partage des réflexions du groupe de jeunes qui regardent leur milieu et veulent le changer pour le mieux.
Isolé, le jeune trouve un groupe, une famille où il expérimente, souvent pour la première fois, un milieu amical. Un tel milieu lui permet de participer à des échanges qui font mieux comprendre la réalité ambiante et qui suscitent le désir, parfois explicitement au nom de Celui qui les réunit, de mieux saisir la société où trop de jeunes ne reçoivent pas le traitement respectueux correspondant à leur dignité. Il reste à agir.
Il y a l’importante présence de témoins, de ces personnes qui ne font pas de sermons, qui partagent simplement leur regard critique sur ce qui les entoure, qui portent attention aux jeunes isolés dans leur travail ou dans leur absence de travail. Ces témoins qui, à l’occasion, partagent la source profonde de leur inspiration, qui sont sources d’information, de formation du regard, d’inspiration pour l’action, d’appui pour prendre conscience de sa valeur et de sa responsabilité pour changer le milieu.
Progressivement, le jeune apprend non plus seulement à constater mais bien à mieux comprendre ce qui se passe, et pourquoi ça se passe ainsi, et quelles sont les causes de cette réalité dévalorisante pour ses semblables. Il apprend aussi à prendre la parole, à dénoncer les injustices dont il est témoin et que son appartenance au groupe lui permet de découvrir; il trouve alors la force d’agir. Voir avec de nouveaux yeux, plus perçants, voir plus loin que son nez, que son petit soi. Juger non pas avec un regard culpabilisant, mais démêler les différentes composantes de cette réalité à modifier parce que non respectueuse des personnes humaines, ces filles et fils du Dieu Père/Mère, en somme analyser. Agir par la parole, par la dénonciation des situations injustes, par l’action de rassembler contre l’isolement, contre les comportements avilissants et déshumanisants, par la création de centres de rencontre, de formation, etc.
À 60 ans de distance, les jeunes, ayant appris à voir la réalité qui les entoure, adaptent leurs actions selon les situations qu’ils rencontrent. Aujourd’hui, dans un Québec toujours en mutation, très loin du Québec de chrétienté de leurs grands-parents, dans une région métropolitaine multiculturelle, aux inspirations religieuses et spirituelles très diverses, la présence chrétienne (le C de JOC) s’adapte elle aussi. Les jeunes, comme le dit si joliment France, sont « moins des pratiquants du dimanche que du terrain ». À une époque marquée par la montée d’un certain intégrisme religieux souvent excluant, l’entreprise de ces jeunes voués à la défense des droits et de la dignité de leurs congénères constitue un témoignage discret, mais tout à fait réel de la victoire de la Vie sur la mort.
Ces petits groupes, au ras de l’humus, au ras de l’humain, construisent le Royaume loin des grands déploiements qui trouvaient davantage leur raison d’être dans un Québec qui n’est plus, dans une Église d’un autre temps. L’appui financier de l’Église institutionnelle s’étant depuis plusieurs années déjà réduit comme peau de chagrin, reste importante la solidarité des baptisés « ordinaires » avec ces jocistes qui, à l’exemple de France et de Lucie, sont en phase avec cette Église, peuple de Dieu, attentive aux joies et aux peines de celles et ceux qui les entourent, prioritairement les plus pauvres.