Sentiers de FoiVolume 10 - no 131

« Tu veux quelque chose? »

Jocelyn Girard
La première fois que je me suis approché de l’entrée du métro Berri-UQAM, au milieu d’une foule dense, je me rappelle m’être trouvé devant ce jeune à l’allure bizarre qui murmurait de courtes interpellations.
La première fois que je me suis approché de l’entrée du métro Berri-UQAM, au milieu d’une foule dense, je me rappelle m’être trouvé devant ce jeune à l’allure bizarre qui murmurait de courtes interpellations. Ne comprenant pas ce qu’il disait, je lui ai demandé: « Qu’est-ce que tu dis? » Il m’a répondu : « Tu veux quek chose? » N’étant pas très éclairé sur le « quelque chose » en question, je me demandais ce que cette personne pouvait bien avoir à m’offrir. Je lui ai donc demandé : « Quelque chose comme quoi? » Ma question a dû l’effrayer, il s’est éclipsé… Vouloir quelque chose Daniel Paradis voulait quelque chose. Pas de ces substances qui sont offertes aux passants, mais d’abord répondre à ce quelque chose qui vient de l’intérieur, cet « appel à venir en aide aux gens de la rue ». Ça m’a toujours intrigué, cette fascination pour la rue, que ce soit pour aider ou carrément pour y vivre. Peu de temps après nous être installés à Montréal, mon propre fils de 15 ans exprimait une semblable fascination pour la rue. Il en parlait souvent, comme un rêve qu’il caressait. En tant que parents, nous nous montrions inquiets devant ce désir. Que pouvait-il y avoir de si attrayant à vivre en itinérant, dans la misère extrême, à quémander chaque jour sa pitance? Malgré nos conseils, il continuait d’en rêver. Un jour, nous sommes tombés sur un prêtre qui œuvrait avec Pops quelques nuits par semaine dans la roulotte du Bon Dieu dans la rue. Je lui parlai de notre fils. Malgré le fait qu’il soit d’âge mineur, le prêtre obtint l’autorisation pour que celui-ci vienne vivre l’expérience une nuit ou deux dans la roulotte de Pops. Nous voulions qu’il puisse voir et comprendre. C’était en 2003. On aurait dit que sa vie avait pris un sens, qu’il avait trouvé son quelque chose à lui. Il lui fallut moins de deux ans pour parvenir à ses fins. À 17 ans et 9 mois, nous l’installions dans un appartement en colocation chez un homme peu rassurant. En quelques semaines, la rue était devenue son lieu de vie bien plus que sa chambre désertée. C’était comme s’il avait trouvé un chez-soi, au milieu des gens bizarres, un peu comme lui d’ailleurs, de ces personnalités différentes qu’on ne peut pas mettre dans un cadre. On se passe le relais C’est curieux aussi de constater combien d’histoires de rue sont « accompagnées » par des gens dont le cœur est brûlant d’amour, des hommes et des femmes de foi qui se sentent appelés par l’Amour à aimer les exclus. Le parcours de Daniel Paradis est éloquent de ces « présences » qui lui ont fait confiance et qui l’ont poussé à poursuivre son quelque chose à lui. Du Pharillon au Souffle de vie et ensuite au Projet Compassion soutenu par une paroisse du centre-ville, tous ces passeurs de relais ont aidé cet homme à suivre sa propre voie qui le poussait à faire quelque chose en propre. Présence Compassion est une œuvre de vie née de la confluence de l’expérience personnelle de Dieu qui appelle et de ces multiples rencontres formatrices et fondatrices. Or il se trouve que cette modalité de l’Église au cœur du monde est actuellement en péril. L’état pitoyable des paroisses, et même des communautés religieuses, ne permettrait plus, aujourd’hui, de soutenir de tels projets sans attente de retour. Pourtant, c’est bien dans des œuvres comme celle-ci que se trouve le signe de compassion du bon Samaritain. Mon fils a vécu son trip de rue jusqu’aux bas-fonds. Un jour, arrivé au terme de sa déchéance, il a eu le réflexe d’appeler au secours. Ses parents n’étaient pas à la maison en cette nuit du 17 juillet 2008. Il trouva dans sa poche le numéro de téléphone d’un certain curé qui l’avait initié à la rue... Celui-ci se fit le prochain de notre fils et le ramena littéralement à la vie, s’occupant de lui nuit et jour. Le Pharillon compléta le travail en l’accueillant pour une longue réhabilitation. Le jeu des relais avait fonctionné, accompagnant notre jeune paumé vers une nouvelle vie possible. Mon fils, aujourd’hui, attend son deuxième enfant. Il a trouvé, enfin, son quelque chose à lui...

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