Artisans du communautaire: une aumônerie hors les murs
« La pire période de ma vie, c’est quand on m’a remis en liberté.
« La pire période de ma vie, c’est quand on m’a remis en liberté. Puis, quand on se retrouve sur l’asphalte, on est exactement au même point que quand on est entré : c’est là qu’il faut être d’une force extraordinaire. La majorité n’a rien en sortant, pas de famille, pas de réseaux d’amis. Mais si t’accompagnes quelqu’un quand il sort, ça fait toute la différence. L’Aumônerie communautaire est là pour ça. » Voilà l’expérience d’un ex-détenu actif dans L’Aumônerie communautaire de Montréal. Gilles, libéré depuis 25 ans, a connu 13 ans de détention. Un véritable père pour « ses gars » qu’il accompagne avec sollicitude1.
L’Aumônerie « communautaire », qui existe depuis 1995, accompagne des ex-détenus ou ex-détenues et des victimes d’actes criminels. Il y a des « citoyens » en prison et ceux qui reviennent dans notre « communauté ». Les divers organismes de L’Aumônerie se ressourcent par le biais du Réseau des artisans communautaires (RAC). « C’est un espace pour vérifier que tout le monde va bien, car le travail est éprouvant. Par rapport à d’autres réseaux, une dimension s’ajoute, celle du prendre soin. On se dit dans notre vulnérabilité. Il y a une ouverture au spirituel, nous ne sommes pas tous chrétiens et pas nécessairement croyants. C’est ce que j’aime à L’Aumônerie, ce n’est pas enfermé dans quelque chose. Pour moi, c’est le vrai christianisme », affirme Estelle Drouvin, coordonnatrice du CSJR.
L’humain au cœur de notre action : restaurer ensemble
Comme l’affirme le fondateur de L’Aumônerie communautaire, Brian McDonough : « Ces artisans croient résolument à des facteurs transformateurs qui viennent de la rencontre, d’une certaine simplicité, d’un constat de notre égalité, d’un "j’ai besoin de toi, tu as besoin de moi" et, ensemble, on peut prendre un chemin vers la liberté. Ils portent une vision commune: le délit commis par une personne, et même ses difficultés dans la réinsertion, ne définissent pas tout l’humain. L’humain est un mystère qui est seulement saisi par Dieu et, de ce fait là, il existe une capacité de se transformer. C’est par le contact avec d’autres, qui les accueillent comme ils sont, qu’il y a cette transformation. » Laurent Champagne, aumônier coordonnateur laïque, ajoute : « Les personnes qu’on accompagne nous disent souvent : on se sent aimés de vous. Une présence soutenue pour que détenus et victimes comprennent leur histoire et donnent du sens à leur expérience. »
Le Centre de services de justice réparatrice2
L’Aumônerie a créé le Centre de services de justice réparatrice (CSJR). Le CSJR organise des rencontres entre détenus, détenues et victimes où assistent toujours deux représentants de la communauté, « car on est au cœur même du vivre-ensemble. On est tous concernés par ce qui a été brisé, par les conséquences du crime autour de nous », affirme Estelle Drouvin. Carole, une victime, confie : « Un abuseur a admis devant nous qu’il était le seul et unique responsable des gestes qu’il avait posés. C’est dans un torrent de larmes que mes tensions se sont relâchées. Ce fut pour moi le baume sur la plaie restée béante. »
Ce qui les motive
Laurent, coordonnateur, témoigne : « Un gars m’a dit : "Toi, t’es comme un père, tu m’as sauvé la vie." Ce ne sont pas des grandes reconnaissances publiques, mais de petites reconnaissances qui m’encouragent. C’est mon sentier qui me fait vraiment vivre. Le Christ a accompagné les plus pauvres. » Claude, bénévole, confie : « Un jour, j’ai souligné la fête d’un gars : "C’est la première fois de ma vie qu’on souligne ma fête", a-t-il dit, ému. Jésus lit Isaïe pour illustrer sa mission : "Libérez les prisonniers..." Moi je ne les libère pas, mais j’ai la responsabilité de les aider à se réinsérer. Des gens travaillent fort sur eux-mêmes, et réussissent. Dans les médias, on entend seulement les échecs. »
Micheline, bénévole, enchaîne : « Un autre jour, un homme pense au suicide. Après m’avoir parlé, il m’a dit : "Ça m’a fait du bien." Ce gars travaille maintenant pour des cuisines populaires pour personnes âgées. Je me suis toujours appliquée à retenir leur prénom. Au pénitencier, ils sont souvent appelés par leur nom de famille ou un numéro. Les détenus réagissent beaucoup : "Aie! elle a retenu mon prénom!" » Estelle ajoute : « Certaines personnes sont un peu pétrifiées à l’idée de s’asseoir à côté d’un meurtrier. Petit à petit, ce n’est plus "les prisonniers", ce sont des personnes qui se disent en vérité, reconnaissant leur crime. Un gars m’a dit : "Merci. En une heure, je t’ai dit des choses que je n’ai jamais dites aux agents de libération que j’ai eus pendant 10 ans." Beaucoup d’ex-détenus s’engagent pour nous aider dans L’Aumônerie. »
Laurent Champagne, coordonnateur, reconnaît que L’Aumônerie, c’est une communauté de foi pas nécessairement sacramentelle, mais vécue au quotidien. « Je sens que je rassemble, je ne fais pas l’eucharistie célébrée, mais je fais la communauté du Christ. Le corps du Christ se réalise. Les personnes qui sortent de prison ont du mal à s’identifier à la communauté de foi pratiquante à l’église, car elles sont vues comme des êtres à part, dangereux. »
Une foi têtue
Toutefois, L’Aumônerie, financée par le Service correctionnel du Canada, est en péril. Les coupes sont commencées, et cela crée beaucoup d’insécurité. Le gouvernement fédéral actuel met en place de lois qui favorisent davantage une approche punitive qu’une approche en réinsertion. Brian McDonough affirme : « C’est une lecture très légaliste, mais complètement déconnectée de la réalité des personnes. Les aumôniers dans les prisons ne sont pas d’accord avec cette vision. Ils souhaitent que L’Aumônerie communautaire continue. » Estelle Drouvin poursuit : « Il faudra des mécènes qui croient à l’importance du réseau de L’Aumônerie3 pour la société à cause des personnes concernées et au nom de l’intérêt de la sécurité publique. Notre enracinement ensemble dans le Christ nous permet de voir plus loin. Il y a quelque chose de plus grand que nous, une aspiration profonde, et on sait qu’elle est juste. »