Une Terrienne à l’identité ouverte dans sa quête d’humanité
Le terreau : « Quelque chose d’heureux et de créatif »Vivian est née en 1953 à Sherbrooke et a presque toujours habité à Québec ensuite.
Le terreau : « Quelque chose d’heureux et de créatif »
Vivian est née en 1953 à Sherbrooke et a presque toujours habité à Québec ensuite. Elle est l’aînée de trois filles. Elle est marquée au cours primaire par la pensée catholique traditionnelle, qui l’effraie, puis par la rencontre de religieuses animées par l’esprit audacieux du concile Vatican II. Au secondaire, elle apprend dans le mouvement scout tout autant la force du groupe que celle de son propre pouvoir d’agir. Au Cégep de Sainte-Foy, la dimension de l’engagement social prend de l’ampleur avec la Marche des jeunes, le Rallye Tiers-Monde, les soirées à écouter les folk singers. L’idée simple, mais lourde de conséquences, de « prendre soin » de l’autre est renforcée et revêt ses habits politiques avec la notion de justice sociale.
Le terrain de la recherche : « Une joie à trouver ensemble »
Après un baccalauréat puis une maîtrise en psychologie à l’Université Laval, Vivian s’envole en 1975 avec son conjoint pour la France et poursuit ses études doctorales. Dans le cadre du terrain relatif à ce doctorat sur la tradition orale du conte, elle vivra une expérience fondatrice, en Acadie, à la rencontre des porteuses et des porteurs de cette tradition. Elle est touchée par leurs contes, qu’elle décrit comme « l’humanité qui se parle à elle-même et qui se transmet des valeurs fondamentales et des intuitions ». Elle découvre des gens riches d’un savoir essentiel sur les contes qui vivent en même temps de grandes situations de pauvreté. Cela évoque la parole d’évangile qui dit que « ce qui a été caché aux plus grands a été donné aux humbles ». Elle se place alors dans un rapport de connivence avec ces femmes et ces hommes qui savent lui donner des images pour comprendre ce qui est au cœur de ce qu’elle cherche. Vivian apprend ainsi que dans la vie, parfois, « tout est à retourner ». En effet, comment considérer comme analphabète une personne qui connaît des dizaines de contes et cinq cents chansons par cœur? Plus tard, les ouvrages du grand pédagogue et philosophe brésilien Paulo Freire et sa vision du développement de la conscience sociopolitique viendront confirmer l’importance qu’elle apprend à accorder aux mots des gens.
Le terrain de l’action sociale : « Se donner ce qu’on veut vivre comme société »
En se réorganisant après une séparation au début des années 1980, Vivian inscrit sa fille à la garderie coopérative Saint-Jean-Baptiste de Québec. C’est l’apprentissage de la coéducation et de la vie démocratique. Les membres de la garderie doivent se battre pour avoir pignon sur rue. L’imaginaire collectif et sa facette « folie » est au rendez-vous sur le plan des tactiques à privilégier. Tout ça se passe en résonance avec la spiritualité proche de la théologie de la libération d’une communauté de base et d’une communauté de célébration.
La carrière institutionnelle de Vivian comme chercheuse est de courte durée : de 1980 à 1984. Sa manière de travailler en ouverture sur l’intelligence collective, en dehors de certains corporatismes implicites, dérange autant qu’elle suscite l’intérêt. Et lorsque des tests d’allégeance qu’elle juge inacceptables lui sont imposés, elle quitte le milieu institutionnel. Puis vient le passage lumineux au Carrefour de pastorale en monde ouvrier1 (CAPMO), de 1988 à 1998. Vivian peut travailler à partir de ses acquis : « être intelligent ensemble, en faisant place à la politique, en s’assurant que les personnes en situation d’exclusion aient une place, en pouvant être créative, en ayant du plaisir et les coudées franches ». Elle représente le CAPMO dans le collectif qui mettra en place la Corporation de développement économique de Québec. Comment faire place aux préoccupations du milieu communautaire dans ce lieu où se côtoient divers acteurs dont les intérêts sont variés? Comment faire avancer l’idée, par exemple, d’une revitalisation des quartiers centraux au service des personnes appauvries qui l’habitent? Elle prend alors une posture qui lui restera : « écouter tous les acteurs » et s’appuyer sur « la complémentarité de capacité et de pouvoir » de l’ensemble de ceux-ci « sans émousser l’horizon » qu’elle porte.
La synthèse : « Faisons-le et ça se fera. »
En 1995, Vivian accepte, après analyse des enjeux, de faire partie du Comité externe de réforme sur l’aide sociale mis en place par le gouvernement québécois et dont la démarche se soldera par deux rapports aux conclusions divergentes. L’expérience nourrit la réflexion du CAPMO qui introduira l’idée d’une clause d’appauvrissement zéro pour le cinquième le plus pauvre de la population. Le CAPMO est alors actif dans les coalitions régionales et panquébécoises qui s’opposent à la réforme de l’aide sociale mise de l’avant par le gouvernement. Plusieurs portent le rêve « fou » de proposer à la ministre de l’époque une loi pour éliminer la pauvreté au lieu du projet de réforme de l’aide sociale. C’est ainsi qu’un soir d’automne 1997, Vivian s’installe à son ordinateur, commence à rédiger un premier brouillon de projet de loi, dont les mots déboulent au cours de la nuit. Je passai par hasard la voir, tôt le matin suivant. Je la revois tenant en main un document tout chaud, avec au cœur le sentiment de quelque chose qui la dépassait et dont elle se sentait la simple messagère, souhaitant que ce soit reçu comme la somme des luttes citoyennes, et sachant très bien que la promotion d’un tel projet nécessiterait un engagement pour les dix années à venir.
De cette grande aventure, ensemble avec d’autres, qui a conduit à l’adoption par l’Assemblée nationale du Québec d’une Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, Vivian dit qu’il ne s’agissait pas de négocier avec l’État, mais d’identifier avec qui faire des pas, sans compromis sur le fond. Les personnes en situation de pauvreté y sont demeurées « son école ». Elle en retient aussi que chaque personne qui se mobilise est assignée tout autant à un travail de transformation personnelle que sociale.
Le moment présent : « Citoyenne et Terrienne »
Aujourd’hui, Vivian est chercheuse autonome. Citoyenne enracinée au Québec, elle se décrit aussi comme Terrienne, en reconnaissance de notre « commune humanité ». Elle croit que « l’intuition des humains par rapport à ce qu’ils font dans l’univers » est quelque chose d’allant, qui ne peut être « trop petit » et certainement pas enfermé dans une seule religion. Ce qui ne l’empêche pas « d’accompagner son quotidien avec la prière du Notre Père/Notre Mère qui touche des postures à cultiver dans sa vie », confie-t-elle. Elle sait qu’elle continuera d’être « troublée dans ses entendements » et demeure ouverte au présent, à la beauté, à l’écoute des autres et à l’expérience de la conscience. Et ce, tout en cherchant ce qui peut rendre notre monde plus juste : ce qui suppose que la richesse soit partagée, tout autant que « le dur de la vie ».