Un engagement mutuel
Expression souvent citée par Maurice Zundel : « Tout ce qui n’est pas donné est perdu! » Les biens matériels, bien sûr.
Expression souvent citée par Maurice Zundel : « Tout ce qui n’est pas donné est perdu! » Les biens matériels, bien sûr. Mais plus que cela, la foi. Qu’adviendra-t-il de la foi des chrétiens et chrétiennes de maintenant quand ils partiront? Sera-t-elle perdue? En d’autres mots, la cause du christianisme est-elle perdue?
Le frère Enzo Biemmi, directeur de l’Institut supérieur de sciences religieuses de Vérone, résume ainsi le défi de transmission aujourd’hui : « Ce qui est en train de mourir, c’est la forme sociologique que le christianisme a eu [...], le christianisme de l’habitude, de l’obligation, de la tradition. » Il annonce « l’aube d’un christianisme de la grâce1 ». Et la grâce passera par l’expérience de Dieu, expérience « intrinsèquement liée à notre devenir de personnes responsables et libres », nous dit Zundel, et il ajoute : « La véritable voie d’accès à Dieu réside dans cette rencontre qu’on fait avec soi-même. » D’où l’importance de trouver des lieux d’écoute spirituelle. André Belzile identifie une de nos difficultés à vivre cette rencontre avec nous-mêmes: « Nous souffrons de [...] ne pas arriver à être à la hauteur de ce qui nous rendrait merveilleux. » L’humain de maintenant s’occupe de son corps de mieux en mieux quand il en a les moyens. Il s’occupe de plus en plus de son développement psychique (dimensions intellectuelle, affective, instinctive, imaginative, morale) et souvent, malgré toute cette recherche, il reste insatisfait, avec un sentiment de vide et de manque de sens et un mal de vivre qui l’affectent. Son esprit souffre. Pour le combler de la plénitude du Vivant, il faut une seconde naissance. Celle qui donne accès au Souffle, celle d’où émane l’Esprit. Celle qui mène à Dieu.
Pour André Belzile, dans son expérience d’écoute, « la personne est attirée par un plus-être qui [...] aiguise son goût au dépassement. » Nous pourrions parler ici de conversion. Les personnes de foi souhaitent, avec raison, être accueillies et comprises par des psychothérapeutes de foi. Afin justement d’être entendues jusqu’au fond de leur désir de Dieu. Jusqu’à ce lieu inviolable dont parle Belzile. D’autres le nomment le cœur profond.
Il est possible d’agir sans cette expérience d’une rencontre avec l’Autre en soi, mais l’action épurée portera une lumière nouvelle au monde. Chacun et chacune peut devenir prophète. André Belzile nous donne l’exemple des médecins psychiatres qui ploient sous le poids des souffrances de leurs clients, comparativement à Yvon Saint-Arnaud qui trouvait un certain repos dans l’écoute. Dans sa pratique, lui-même entend toujours l’espérance en arrière des blessures, du comportement croche... Christian Grondin, directeur des programmes au centre Manrèse, expert en pastorale de l’accompagnement, écrit : « Quiconque n’est pas engagé personnellement sur la voie de la seconde naissance est inapte à aider d’autres humains à entrer dans la dimension de l’esprit, car cette personne confondra les sollicitations de la vie biophysique, repliée sur elle-même, avec les authentiques manifestations de la vie spirituelle2. » Cela fait du ministère de l’accompagnement un ministère exigeant. Cela impose, pour le moins, que ceux et celles qui veulent accompagner soient déjà accompagnés eux-mêmes. « Si deux d’entre vous sur la terre s’entendent pour demander quelque chose, ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux. » (Mt 18, 19)
Cette guidance peut rendre possible l’avenir de certains chemins de foi. Une nouvelle solidarité d’écoute peut amener une nouvelle espérance. Et même une certaine fraîcheur insoupçonnée. L’accompagnement spirituel d’aujourd’hui demande des personnes capables d’être elles-mêmes réévangélisées par les personnes qu’elles accompagnent. Ce qui fait conclure au frère Biemmi : « On ne sort pas indemne d’une démarche d’accompagnement : elle devient un engendrement mutuel3. »
Renaître d’en-haut ensemble permet à celui qui écoute et à celui qui est écouté de devenir plus libres, plus résilients, mieux équipés pour accueillir la souffrance, pour traiter les blessures et, finalement, pour être plus lumineux en ce monde. Maurice Zundel exprime ainsi cet engendrement : « Vous êtes au coeur de cette maternité divine où l’être est enfanté à la liberté infinie des fils de Dieu4. » Enfanté par un autre et par un Autre pour tous les autres.