« À vin nouveau, outres neuves »
L’itinéraire a l’habitude de nous proposer l’expérience d’un chemin de foi emprunté par des groupes qui se situent eux-mêmes d’emblée hors du cadastre institutionnel habituel.
L’itinéraire a l’habitude de nous proposer l’expérience d’un chemin de foi emprunté par des groupes qui se situent eux-mêmes d’emblée hors du cadastre institutionnel habituel. Cette fois-ci, l’organisme présenté ne peut pas être plus mainstream : le Centre Victor-Lelièvre porte depuis peu le nom même de son fondateur, un oblat, membre d’une communauté religieuse comme l’Église en a connu plusieurs. Ce n’est donc pas l’identité de l’organisme présenté qui, par elle-même, justifie de retenir l’attention d’un itinéraire de notre journal.
Je pense cependant que ce dont il est question ici est un reflet fort significatif du fait que, dans l’ébullition actuelle de l’institution ecclésiale, nul besoin de se situer à la marge pour prétendre paraître dans ces pages. La reconfiguration des orientations du CVL démontre à quel point au sein même d’institutions qu’on peut avoir tendance à associer au « courant principal » de la vie de l’Église, il y a un souci, un désir, un appel à ouvrir les yeux et à tendre l’oreille pour proposer des espaces d’accueil et de dialogue à tout venant qui manifeste une quête, une soif, quelle qu’elle soit.
Bref, avant même de considérer la spécificité du sentier que commence à emprunter le CVL, je trouvais intéressant de faire ressortir ce que je vois en plusieurs lieux de l’Église actuelle, à savoir cette prise de conscience qu’elle ne vit pas pour elle-même, mais bien en relation avec les hommes et les femmes d’aujourd’hui, qu’elle n’a de raison d’être que par le dialogue et la proposition évangélique adressée à ces frères et sœurs, une prise de conscience qui pousse à entrer en recherche de modes nouveaux d’être au monde. Sachons reconnaître que l’autoroute ecclésiale est de moins en moins fréquentée et que ce sont les chemins de traverse qui sont maintenant davantage foulés par ceux et celles qui entendent l’interpellation du Christ. Moi qui porte une responsabilité diocésaine pour la catéchèse, je suis très fréquemment témoin, dans les réseaux que je suis appelé à fréquenter, de ce désir de faire Église autrement. Certes, la « machine » est lourde, cet « autrement » peine à naître, mais il est clair qu’il sourd déjà en maints endroits où les préjugés nous empêchent parfois d’admettre qu’il « peut naître là quelque chose de bon ».
Cela dit, après nous être réjouis qu’une façon nouvelle d’être présence d’Église puisse voir le jour en un lieu qu’on qualifierait spontanément d’institutionnel, prenons le temps de considérer ce qui commence à poindre au CVL. À cet égard, il me semble que deux dimensions ressortent. D’abord, celle qui s’est exprimée dans les mots suivants : « intégration de toutes les tendances » qui ont marqué l’histoire et l’évolution du Centre. Comment ne pas être d’accord avec Lorraine Gaudreau quand elle dit que « le Jésus qu’on rencontre dans l’adoration est le même qui conteste ouvertement les structures d’oppression et prend le parti des faibles et des exclus » ou encore que « quête de sens, de spiritualité et de Dieu, quête de justice, quête de communion, quête de libération intérieure et collective, cela forme un tout ». Ce désir de tenir ensemble les grands mouvements qui ont animé la vie de Jésus-Ouvrier – cet ancien nom est en lui-même éloquent – n’est pas sans présenter un défi important, mais loin d’être insurmontable. Et à bien y penser, alors même que nos débats sociopolitiques actuels créent d’importantes polarisations idéologiques caractérisées par les catégories de gauche et de droite, ce désir de tenir ensemble des tendances variées, mais toutes rattachées au Christ et à l’Évangile, me semble être porteur d’une intuition en quelque sorte prophétique. Quiconque connaît les lieux n’aura pas de peine à imaginer qu’une personne s’y rendant pour une activité de justice sociale entende murmurer dans la chapelle une assemblée priante qui l’intriguera peut-être. Puis, une heure plus tard, au sortir de la chapelle, un couple réalise qu’il a partagé les lieux avec un groupe d’action sociale qui, à son tour, l’interpelle sur l’importance de donner des mains à son élan spirituel intérieur. Ce n’est bien sûr qu’un exemple bien modeste, mais qui illustre l’avantage que présente ce Centre qui n’est porteur d’aucune étiquette trop campée qui risquerait de tenir à distance les tenants et tenantes d’une forme ou l’autre d’implication au nom de la foi. On ne peut qu’encourager ce désir d’« intégration de toutes les tendances ».
L’autre point d’attention, me semble-t-il, est précisément celui qui a suscité l’expression donnée en titre : « À vin nouveau, outres neuves ». Car l’intégration de toutes les tendances pourrait bien, si on n’y prenait garde, être quand même un enfermement dans « du vieux ». Or il est clair que ce n’est pas la volonté des responsables du CVL, qui s’exprime dans cette décision de changer de nom. Comme on le mentionne, le point de rencontre des tendances diverses, c’est la « quête ». On est ici en pleine résonance avec le monde contemporain. Ce qui transpire clairement de la mise sur pied de la Table ronde, c’est une grande attention au monde, à ses attentes, à ses soifs. Ces soifs ne sont peut-être pas toujours marquées au coin de la foi au Christ, mais elles constituent en elles-mêmes des sentiers où un germe de cette foi pourra, peut-être mais pas forcément, émerger. En tout cas, il est beau de voir Lorraine et Jonathan, soutenus par la communauté des Oblats, faire le pari d’un ajustement des offres émanant du CVL de façon à être toujours davantage ce lieu où « quête de sens et engagement pour la justice se nourrissent mutuellement », fidèle en cela à l’esprit de son fondateur. Ce qui m’apparaît particulièrement inspirant ici, c’est ce regard bienveillant sur le monde, ce regard qui, tout en demeurant lucide sur les enjeux socio-éthiques, accueille ce monde et ceux et celles qui y vivent avec toute l’épaisseur d’une humanité où se côtoient les crucifixions et les signes de résurrection.
Comme quoi il est possible d’être à la fois fidèle à une vieille intuition tout en travaillant avec conviction à rendre pertinente cette intuition... Car quand on dit « À vin nouveau, outres neuves », il ne faudrait pas penser que c’est l’Évangile qui est le vin vieilli qu’il faut remplacer. Le vin nouveau, c’est la sensibilité à ce monde qui a profondément muté et qui invite, qui oblige même à ouvrir des chemins neufs. Quant à l’Évangile lui-même, j’emprunte pour en parler une expression déjà entendue à quelques reprises dans la bouche du nouvel archevêque de Québec, cette expression qui dit bien son éternelle jeunesse, son éternelle pertinence : la « fraîcheur » de l’Évangile. Assurément, c’est ce vent de fraîcheur qui souffle sur le Centre Victor-Lelièvre.