Un homme pour et avec les autres
J’ai connu Guy Paiement au moment où je suis devenu membre de l’équipe de Relations.
J’ai connu Guy Paiement au moment où je suis devenu membre de l’équipe de Relations. Il était très attaché au Centre justice et foi qui publie cette revue. Il siégeait au comité de rédaction de cette dernière depuis 1980. Il m’est vite apparu comme un authentique prophète. Dans le parcours tracé par Yveline Ghariani, je reconnais la source de ses options fondamentales. Permettez-moi de tenter une certaine « relecture » de cet itinéraire.
Au foyer du mystère d’une personne, on trouve souvent quelques expériences ayant valeur déterminante. Issu d’un milieu modeste où il est vite confronté à la pauvreté, Guy aurait pu chercher à s’en sortir seul et par ses propres moyens. Au contraire, cela l’ouvre à un « discernement » qui – nous dit Yveline Ghariani – l’ancrera pour toujours dans « un refus de l’inacceptable ». Cette « posture inaugurale », saint Ignace la nomme – dans ses Exercices spirituels – le « principe et fondement ». C’est tout le rapport aux réalités du monde qui, pour chacun et chacune, est ici en jeu. Ignace propose un chemin de liberté devant les biens que sont les richesses, la santé, les honneurs, la vie longue, etc. Pour lui, ces biens ne peuvent être accaparés et tenus pour acquis par quiconque, sinon ils deviennent une source de crispation conduisant à « perdre son âme ». Ils sont plutôt des « dons » au service d’un plus grand bien (la justice, la fraternité, le « bien commun » et, en définitive, le « salut » personnel et collectif). Guy était intimement habité par cela.
Devenu jésuite, il n’aura de cesse d’approfondir cette liberté et de chercher à la mettre en œuvre autour de lui – autant dans l’Église que dans la société. Yveline Ghariani rappelle avec justesse que l’appartenance de Guy à la Compagnie de Jésus ne s’est jamais démentie. En fait, il était le prototype même du jésuite de la « génération Arrupe ». Qu’est-ce à dire? Rappelons que le père Pedro Arrupe (1907-1991) a été supérieur général de la Compagnie de Jésus de 1965 à 1983. Sous son leadership prophétique, l’ordre fondé par Ignace de Loyola au XVIe siècle se renouvellera en profondeur. Inspirés par le concile Vatican II, les jésuites procèdent à un vaste discernement. Au cœur des pauvretés et des injustices criantes qui divisent plus que jamais les peuples et défigurent nos sociétés, les fils de saint Ignace reconnaissent alors des « structures de péchés collectifs » à combattre et à changer. Dorénavant, leur mission se définira comme un « service de la foi, dont la promotion de la justice constitue une exigence absolue », car « la promotion de la justice apparaît partie intégrante du service de la foi ». Sans conteste, l’infatigable travail de militance et d’animation sociale de Guy s’enracinait là.
Membre d’une communauté de base et d’une coopérative d’habitation, il vivait son ministère de prêtre comme un homme au milieu du monde et au service de la vie des gens. Il était un frère partageant « leurs joies et leurs espoirs, leurs tristesses et leurs angoisses ». Il concevait son presbytérat dans la suite du Christ « pauvre et serviteur », venu ouvrir à tous et à toutes la table du Royaume. Guy ne pouvait donc que s’opposer à l’exaltation, dans certains quartiers de l’Église, d’une figure du prêtre comme « être à part » et « homme du sacré » – exaltation bien illusoire, au demeurant, en cette année dite « sacerdotale » qui tourne présentement en annus horribilis pour l’Église catholique!
À l’école de saint Ignace, Guy avait plutôt appris à « trouver Dieu en toute chose et à voir toute chose en Dieu ». Ce n’est donc pas dans « le sacré » qu’il discernait le souffle du Vivant, mais bien là où des êtres humains et des peuples entiers se remettaient en marche. Car, comme le rappelle si justement Yveline Ghariani, pour lui, la résurrection était d’abord un « geste » : « se remettre debout, et aider les autres à faire de même! » Et toujours à la suite d’Ignace qui disait que « l’amour se met davantage dans les actes que dans les paroles », Guy affirmait souvent que « la foi doit avoir de la terre après les pieds ». Il était bien, en ce sens, cet « homme pour et avec les autres » qui définissait, selon Pedro Arrupe, la vocation même du jésuite – comme celle du chrétien et de la chrétienne d’aujourd’hui.