Sentiers de FoiVolume 04 - no 11

Parler pour apprendre à vivre

Anne Fortin
La « pasto de rue » que nous présente Marcel Pellerin sort des sentiers battus de la traditionnelle « pastorale jeunesse ».
La « pasto de rue » que nous présente Marcel Pellerin sort des sentiers battus de la traditionnelle « pastorale jeunesse ». Elle s’en distingue par de nombreux points. À distance d’une approche qui vise à toucher la pure émotion des jeunes, ou d’une autre qui les considère comme de purs ignorants de la religion, cette « pasto de rue » s’ancre dans une vision intégrale de la personne alliée à une théologie du Verbe fait chair. À distance des grands rassemblements qui altèrent les perceptions de la réalité, mais aussi au-delà des rencontres individualistes enfermées sur le moi exacerbé, les jeunes se reconnaissent les uns les autres. Dans l’écoute, dans le dialogue (dia-logos : la parole qui passe à travers), il y a plus que des mots échangés. Il y a des vies qui se donnent dans la confiance et il y a la réception d’une Parole. L’écoute de l’autre implique qu’il est porteur d’une parole où se nouent la relation, le lien, l’alliance. Les uns et les autres sont habités d’un Verbe qui traverse leur chair, et c’est de ce lieu qu’ils se parlent et se reconnaissent. Il n’y a pas « ceux qui savent » et « ceux qui ne savent pas » : il y a l’Église qui réside dans cette reconnaissance mutuelle dont l’enjeu est précisément celui d’une rencontre. Quelle est la visée de la rencontre? Contrairement à plusieurs types de pastorale jeunesse, la rencontre ne cherche pas ici à rejoindre le jeune dans sa « recherche de sens ». Pourquoi? Une analyse bien précise sous-tend le projet de la « pasto de rue ». L’on a beaucoup dit que les jeunes étaient à la recherche de sens et qu’il fallait leur « transmettre le sens » qui serait absent de leur vie. Une telle perspective fait des adultes les dépositaires d’un sens à transmettre sous peine de dépérissement chez les jeunes. Telle n’est pas l’option de la « pasto de rue ». À force de les écouter, il s’est avéré, à Marcel Pellerin, que, « du sens », les jeunes en ont à profusion : ils sont ultra-informés et ils ont accès à des montagnes de sens que nous ne soupçonnons même pas. Cependant, à travers tous ces « sens », qui sont autant d’informations disponibles, leur enjeu consiste à se demander comment vivre? Ils sont à une étape cruciale de leur vie d’entrée dans le monde des adultes. La vraie question est alors : comment y vivre? La « pasto de rue » prend l’option du vivre-ensemble dans une parole qui n’est plus obsédée par l’efficacité de la communication. Parler sans viser l’effervescence affective d’un high. Parler sans se spécialiser dans le rapport informatif. Parler pour apprendre à vivre. Les sujets de conversations? Dieu? La foi? Jésus? Qu’importe puisqu’il s’agit d’abord de vivre son humanité dans la prise de parole partagée. Et l’acte pastoral consiste à croire que, dans cette parole partagée, quelque chose du Verbe se fait chair se met à parler dans les vies de ces jeunes. Mais encore faut-il savoir et pouvoir l’écouter. L’Alliance de Dieu qui se donne en son Verbe est d’abord une présence sur les chemins, dans des repas partagés, dans une écoute attentive : « Que veux-tu que je fasse pour toi? » (Mc 10, 51). La « pasto de rue » se nourrit d’écoute des mouvements de la Parole dans les récits évangéliques, et non d’informations sur la vie en Israël il y a deux mille ans. Ce qui rend apte à rencontrer l’autre ici et maintenant, c’est d’écouter le mouvement de la Parole entre Jésus et ses interlocuteurs : comment Jésus parle-t-il? Comment est-il écouté ou non? Comment ceux qu’il rencontre prennent-ils la parole? Comment Jésus donne-t-il la parole aux autres? Voilà comment se forgent les conditions d’un « vivre-ensemble » où ce qui est premier, c’est la relation établie. Certains prennent la parole pour piéger l’autre; d’autres ne peuvent parler que si on leur donne la parole, car ils sont écrasés dans une oppression relationnelle. Que fait Jésus? Verbe de Dieu parmi les humains, il traverse leur chair et les transforme en les dénouant, en les ouvrant à un souffle qui vient d’ailleurs et qui les mène plus loin sur le chemin : ceux et celles qui étaient au bord du chemin bondiront sur le chemin, pour marcher, pour vivre.

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