Compassion, charité ou justice?
Je connais le CAP Saint-Barnabé depuis sa création.
Je connais le CAP Saint-Barnabé depuis sa création.D’abord banque alimentaire, il est devenu ce lieu de rencontre pour des gens mal pris, en quête de nourriture, de fête et de sens. Je me suis impliquée dans le premier magasin-partage au CAP Saint-Barnabé en donnant quelques heures comme bénévole à la caisse enregistreuse. Cette formule du magasin-partage fait appel à la capacité des personnes de choisir leurs denrées et de contribuer au paiement de la facture selon leurs moyens. Même si cette façon d’aider est porteuse d’une solution de rechange aux paniers de Noël, elle demeure une intervention de services qui essaie d’alléger les conséquences de la pauvreté.
La question reste entière. Pourquoi les familles tombent-elles dans la pauvreté? Quelles sont les causes de cette problématique?
Ce que nous offrons, au nom de la compassion et de la charité, est un dépannage, une aide temporaire et transitoire qui soulage, mais n’a aucun impact sur la réduction et la sortie de la pauvreté. Est-ce que ce geste humanitaire contribue à maintenir les gens dans la pauvreté et à occulter notre responsabilité devant l’abolition de ce cancer qui ronge la vie de milliers de personnes? Est-ce que la charité peut aussi faire appel à la prise en charge, à l’autonomie, à la dignité?
Le passage de la charité à la justice ne se fait pas automatiquement. Du dépannage à la prise en charge, il y a une distance à franchir autant pour les intervenants que pour les personnes concernées. Le faire pour, généreux, réconfortant, valorisant, est souvent priorisé au faire avec, convivial, respectueux, interpellant. Faire face quotidiennement à la pauvreté est souvent une expérience traumatisante parce qu’elle nous confronte à notre impuissance et qu’elle suscite le réflexe de répondre à l’urgence par le don d’argent, d’aliments et de services offerts unilatéralement. L’urgence des situations sollicite de façon émotive, touche les cœurs, déclenche le geste donateur et met en veilleuse l’analyse et l’engagement dans la transformation des structures qui fabriquent la pauvreté.
Où sont les politiques qui favorisent l’accès au travail pour toutes les personnes et familles qui ont besoin d’un salaire équitable? Que font nos gouvernements pour les citoyens et citoyennes fragilisés mentalement et physiquement qu’ils ont sortis des institutions en les laissant sans ressources? Pourquoi les organismes communautaires avec peu de moyens financiers doivent-ils accueillir des personnes vivant des situations de détresse de plus en plus lourdes?
Le CAP Saint-Barnabé réussit à maintenir un équilibre entre la charité et la justice. Il offre des services alimentaires, propose de la formation et du ressourcement, invite les gens à devenir membres et à s’impliquer dans l’organisme. Il ne baisse pas les bras. En alliance avec d’autres groupes communautaires, il dénonce les structures injustes et questionne les politiques qui créent et maintiennent les gens dans la pauvreté. Cet équilibre entre charité et justice est sans cesse menacé par la multiplication des demandes d’aide à court terme et par la complexité des situations.
Que signifie la redistribution de la richesse quand les taxes que nous payons ne sont pas prioritairement acheminées aux personnes et groupes qui ont plus de difficulté à vivre? Comment rejoindre les personnes qui ont peu de moyens et sont laissées pour compte dans une société dominée par la privatisation et le néolibéralisme?
Ce que réalise le CAP Saint-Barnabé tient presque du miracle! Est-ce logique et normal que des organismes communautaires portent à bout de bras les conséquences de la pauvreté créée par les choix politiques que nous faisons. Les gestes humanitaires posés par les organismes et les individus ouvrent un espace à l’indifférence et à la déresponsabilisation quant à la pratique de la justice par la transformation des structures qui sont directement liées à la création de la pauvreté.