Pari pour le mystère
JULIEN. Non. Maintenant j’ai une raison d’être optimiste, elle s’appelle Laura.LE DOCTEUR S… Que vous aimiez la vie, tant mieux. Mais n’avez-vous pas peur de la mort?JULIEN (en tremblant). Moins.LE DOCTEUR S… Un Dieu qui vous fait être peut aussi être un Dieu qui vous fait disparaître.JULIEN (hésitant). À quoi bon être une fois si ce n’est pour être toujours?LE DOCTEUR S… C’est déjà bien que les choses soient.
JULIEN. Non. Maintenant j’ai une raison d’être optimiste, elle s’appelle Laura.
LE DOCTEUR S… Que vous aimiez la vie, tant mieux. Mais n’avez-vous pas peur de la mort?
JULIEN (en tremblant). Moins.
LE DOCTEUR S… Un Dieu qui vous fait être peut aussi être un Dieu qui vous fait disparaître.
JULIEN (hésitant). À quoi bon être une fois si ce n’est pour être toujours?
LE DOCTEUR S… C’est déjà bien que les choses soient. Pourquoi voudriez-vous qu’elles durent?
JULIEN. On ne nous a pas donné l’intelligence pour la supprimer, sinon c’était un cadeau inutile, empoisonné. Une matière qui pleure sur elle-même, est-ce encore de la matière? La conscience, est-ce juste une chair qui saigne ou bien ce qui s’élève au-dessus de la viande?
LE DOCTEUR S… C’est le rasoir de la conscience : permet-elle de désespérer ou d’espérer? Est-elle conscience d’une tragédie ou conscience d’un mystère?
JULIEN. Je fais le pari. Savoir qu’on meurt est un signe.
LE MAGE. De quoi?
JULIEN. Le signe qu’on ne fera pas que mourir.
LE DOCTEUR S… Tout est obscur, pourtant.
JULIEN. Là où je voyais de l’obscurité, je veux voir une promesse de lumière.
[...]
Court extrait de le mystère la pièce de théâtre Hôtel des deux mondes d’Éric-Emmanuel Schmitt (Éditions Albin Michel, 1999, p. 155-156)