Faut-il choisir entre engagement féministe et foi chrétienne?
L’autre Parole a une histoire.
L’autre Parole a une histoire. Elle vient de vous être racontée. Elle a commencé à un moment où les femmes croyaient tous les espoirs permis. La société québécoise était, en 1976, en pleine évolution et le concile Vatican II avait semblé ouvrir l’Église aux courants d’air, pour reprendre l’expression de Jean XXIII. C’est donc dire que L’autre Parole s’est inscrite, d’emblée, à la fois dans la foulée du féminisme et dans la mouvance chrétienne. Cette alliance, que beaucoup de gens jugeaient alors téméraire ou même impensable, et qui le reste d’ailleurs aux yeux de plusieurs, nous l’avons vécue comme un mariage d’amour et de raison. Nous refusions de choisir entre notre engagement féministe et notre foi chrétienne. Non seulement estimions-nous qu’il n’y avait entre les deux aucun conflit, mais encore agissions-nous sous l’impulsion d’une indéracinable conviction : le message de Jésus de Nazareth porte en lui le ferment révolutionnaire et libérateur qui peut rompre toutes les entraves et combler tous les fossés qui séparent les êtres humains, femmes et hommes, de la pleine possession de leur autonomie et de leur liberté. Et, aujourd’hui encore, nous disons que, malgré tous les obstacles de la route, L’autre Parole, cette voix qui reprend les accents révolutionnaires du Magnificat pour contrer les prétentions d’un patriarcat impénitent et triomphant, ouvre un sentier d’espérance pour celles et ceux qui croient fermement aux valeurs évangéliques de justice, de solidarité et de liberté.
Comme femmes, nous savions déjà, et on ne nous a guère permis de l’oublier, qu’une Église, qui a inscrit la discrimination sexuelle comme un élément clé de son organisation structurelle, ne se transformerait pas du jour au lendemain au point de nous inviter à cheminer, avec sa bénédiction, sur une voie royale. Cette incontournable réalité nous incite parfois à revoir nos stratégies, mais jamais à reculer, tant de sentiers restent ouverts pour qui choisit d’orienter ses pas dans la suite de ceux du Nazaréen...
Avancée constante et hardie
L’autre Parole n’a jamais cessé de témoigner, par sa réflexion, par ses prises de position publiques, par ses écrits, par ses célébrations, d’une avancée constante et hardie sur le sentier ardu, mais jamais déroutant, sur lequel ses membres ont choisi de s’engager en 1976, celui d’un prophétisme courageux et responsable. Oser critiquer l’idéologie dominante pour mieux atteindre l’idéal entrevu, ce n’est pas une tâche aisée, mais elle ne déroute pas, puisque le but est si clairement connu et visé.
Le premier pas, difficile ou facile?
« C’est le premier pas qui coûte », prétend le dicton. Pour L’autre Parole, il a été facile! N’est-elle pas née du besoin de marcher, d’inscrire ses pas dans la foulée du prophétisme biblique, et de le pousser au bout de sa logique? Il présente en effet le salut comme une libération, une sortie de l’esclavage, la fin d’un exil et un retournement radical des valeurs. Les mots qu’on prête à Marie dans le Magnificat reprennent les mêmes accents : « Il a dispersé les hommes à la pensée orgueilleuse, il a élevé les humbles. » (Lc 1, 52) Pouvait-on attendre des prophètes de la première Alliance qu’ils saisissent que la subordination et la soumission que leur société imposait aux femmes pouvait être un contre-signe du salut? Il semble bien que non. Jésus, toutefois, paraît l’avoir compris, lui dont les attitudes, les comportements et les paroles ont ouvert aux femmes qu’il a croisées, qu’il a soutenues, et qui l’ont suivi, des horizons nouveaux.
La route demeure longue
En vérité, quand la route est longue, c’est la persévérance qui constitue le grand défi. Et il nous faut en manifester pour que nos démarches soient estimées à leur juste valeur et accueillies sans méfiance. Nous cheminons dans les sentiers de la recherche théologique et de l’exégèse. Notre perspective féministe les éclaire d’un jour inattendu. Nos réécritures bibliques confèrent à ces grands textes un souffle nouveau. Nous célébrons ce qui nous fait vivre, comme chrétiennes et comme femmes. Présentes aux côtés de celles qui luttent, dans tous les milieux, pour la reconnaissance de leurs droits et de leur dignité, notre action s’inscrit aussi dans la cité. Les sentiers sur lesquels nous avançons paraissent trop audacieux à certains, mais ils en attirent d’autres qui estiment comme nous que ce sont des voies ouvertes sur un avenir plus juste, plus solidaire et plus libre.