Abraham avait 99 ans. Dieu lui dit : Va!1
Après avoir bourlingué longtemps dans les mers du Sud et jeté l’ancre en Haïti, en Équateur et au Chili, la Vie m’a imposé avec véhémence une mission au Québec que je ne désirais pas et à laquelle j’ai longtemps résisté.
Après avoir bourlingué longtemps dans les mers du Sud et jeté l’ancre en Haïti, en Équateur et au Chili, la Vie m’a imposé avec véhémence une mission au Québec que je ne désirais pas et à laquelle j’ai longtemps résisté. Voilà maintenant vingt ans que ça dure!
À 66 ans, je ressens comme bien des collègues la peur de ne plus être pertinent et la tentation de me retirer. Les vieux se mettent trop facilement sur la voie d’évitement et s’enferment dans leur isoloir pour attendre la fin. Le message qu’on croit entendre, c’est « Tasse-toi, mon onc’! » Les résidences pour personnes âgées poussent comme des champignons et les gens y vivent de longues années à attendre des visites espacées, à vivre dans le passé et à s’ennuyer à en trépasser. Les politiciens et les évêques s’arrachent les derniers cheveux à se demander comment affronter le vieillissement des institutions comme s’il s’agissait là d’un cataclysme comparable à la disparition des dinosaures.
Après 43 ans de service principalement auprès des jeunes, je me retrouve dans une Église de fausses blondes ou de têtes blanches. Je me sens privilégié d’avoir développé durant ces deux décennies de mission québécoise un lien profond avec de jeunes adultes. De belles et nombreuses relations d’amitié sont nées avec des personnes qui pourraient être mes filles et mes fils. Quelle ne fut pas ma surprise d’entendre Richard, un militant chrétien de 28 ans, me présenter à des collégiennes comme « une sorte de grand-père »… et c’était un hommage! Oui, les cadres de l’Église ont de l’âge, oui, certaines façons de vivre la foi sont en train de disparaître! Mais ce n’est pas une raison pour devenir des invalides sociaux et nous enfermer dans une phobie des plus jeunes. La Vie nous pousse à prendre le risque de nous mêler davantage aux autres groupes d’âge et à prendre une part active, avec ouverture et compassion, aux débats qui agitent notre société. Notre patrimoine de foi ne peut se transmettre autrement.
Boire l’eau vive de la parole biblique
Dans la Genèse, je puise souffle et inspiration. Voici un livre grandiose où la foi de nos ancêtres se mélange à leur quotidien avec le plus grand naturel. Un livre de créations, de passages du chaos à l’harmonie; des histoires de vieilles familles nomades qui pérégrinaient à travers les déserts du Moyen-Orient. Nos grands parents dans la foi, ces vieillards mythiques et mystiques, abreuvent l’humanité de l’eau de leurs puits depuis quatre mille ans. Ces gens ne construisaient pas de temples, n’écrivaient pas de textes sacrés, n’enfermaient pas leurs troupeaux dans des enclos. Ils marchaient, tête haute, noblement, à la recherche d’une terre où se reposer. Abraham, Isaac et Jacob, voilà qui nous sommes appelés à devenir : de vieux creuseurs de puits préoccupés par la survie de l’humanité, laquelle traverse des déserts de violence et de mort. L’eau de notre foi, la source vive du judaïsme, du christianisme et de l’islam, n’est pas distribuée chichement à nos bonnes brebis, mais répandue pour que tous et toutes aient la vie en abondance!
Des vieillards creuseurs de puits
Je reste convaincu qu’une Église de patriarches et de grands-mères comme la nôtre possède un trésor pour les assoiffés. Au lieu de nous répandre en jérémiades sur l’âge avancé de nos cadres, prenons pour modèles ces centenaires de la Bible qui sont aux origines de la foi. En plongeant dans le texte lumineux de la Genèse, nous découvrons que nos aïeux Abraham et Sara, Isaac et Jacob furent des creuseurs de puits qui ont légué une enfilade de points d’eau aux noms évocateurs pour étancher les soifs de mille générations : Beer Sheba, puits du serment, Essec, la chamaille, Sitna, la contestation, Rehobot, les largesses. Au puits de Lahaï-Roï, puits du Vivant qui me voit, nous rencontrons Agar, la concubine rejetée d’Abraham avec son fils, Rébecca avec son Isaac, Rachel avec son Jacob et la Samaritaine avec son Jésus. C’est aux points d’eau du désert que le Vivant se manifeste.